par Aubert » 21 Fév 2008, 11:12
Et une itw dans le gratuit A Nous.
Rodolphe Burger, ex-leader du groupe Kat Onoma, méconnu du grand public, est cependant l'un des créateurs essentiels de la chanson française. Il sculpte une musique hypnotisante, mélancolique, mais a fait entrer un peu de lumière dans son nouvel album No Sport. Jacques Higelin ne s'y pas trompé sur son talent puisqu'il a demandé à Burger de produire son dernier disque.
Vous travaillez beaucoup, mais vous donnez l'impression d'être rare. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Je n'ai pas un fonctionnement habituel. Je ne publie pas un album tous les deux ans, avec la tournée qui s'ensuit. J'ai eu une longue histoire avec Kat Onoma qui s'est arrêtée, puis j'ai développé des projets parallèles, en collaboration ou en solo, et à partir de 2001, j'ai manifesté mon indépendance, créé un label qui m'a permis de produire de nombreux disques, j'ai enregistré des albums presque "situationnistes" avec l'écrivain Olivier Cadiot, des œuvres liées à des expériences de rencontre. Avec No Sport, je me retrouve dans un cadre plus normal. Cela faisait dix ans que je n'avais pas eu de temps pour préparer ce genre de disque, sur quatre, cinq mois.
Pourquoi avez-vous pris autant de temps ?
Nous avons dû descendre au fond de la mine. À la différence de mon précédent disque, Meteor Show, assez futuriste, qui sollicitait les machines, No Sport, venu dix ans après, va dans une direction radicalement opposée : tout y est joué. Nous avons pris des micros à ruban (années 40), comme sur les grands disques de jazz, de vieilles guitares, des lampes, sans vouloir pour autant être revival. J'achète du matériel sur E-bay, j'ai accumulé pas mal d'objets.
Vous chantez des textes d'écrivains. Comment les avez-vous rencontrés ?
Pierre Alféri et Olivier Cadiot, tous deux publiés chez POL, sont de vieux amis qui n'auraient sans doute jamais écrit de chansons si je ne leur avais pas demandé. J'admire leur travail. Cadiot, par exemple, pratique le collage, une technique venu de Williams Burroughs, il écrit du théâtre aussi, et il est maintenant connu. Ces écrivains mènent un vrai travail de recherche, à l'opposé de cette autofiction qui est juste un simple travail journalistique.
On vous dit musicien littéraire.
Je sais, mais je ne me crois pas littéraire. J'ai surtout lu entre vingt et trente ans. En fait, je n'ai pas de modèles français. Mes modèles sont surtout anglo-saxons, et je trouve la chanson française trop littéraire. Cadiot et d'Alféri m'aident paradoxalement à sortir de l'effet littérature, de ce surplomb du sens que l'on a dans la chanson française où la musique a un statut très secondaire. Nous essayons justement de nous délivrer des effets poétiques.
D'où vient la chanson "Rattlesnake" avec son climat obsédant, hypnotique ?
C'est une chanson sur l'insomnie, ce que les musiciens appellent le ver d'oreille, la hantise musicale dont nous n'arrivons pas à nous débarrasser, le ressassement. J'avais demandé au musicien noir américain de Caroline du Sud, James Blood Ulmer, de mettre sa voix dessus, qu'il dise : "Je suis le rattlesnake." Mais il a refusé. Aux États-Unis, le "rattlesnake" (crotale) fait peur. Il symbolise le rat, la lie.
Vous avez produit le nouvel album de Jacques Higelin, Amor Doloroso. On ne vous imagine pas ensemble.
J'ai beaucoup aimé les premiers albums de Higelin. Il a mis le rock dans la chanson française. J'avais de lui une image très forte. Mais je reconnais que cette collaboration a été est assez inattendue. J'ai été sidéré quand il est venu me voir. En réalité, il m'a entendu à la radio, dans sa voiture. Il a pris le dictaphone qu'il a toujours avec lui et m'a enregistré. Il a enquêté pour savoir qui j'étais.
Il ne vous connaissait pas ?
Pas du tout. Il est venu me voir avec une humilité incroyable. Il m'a dit : "Je ne suis pas content de mes albums précédents. J'ai perdu la clef. Je ne sais plus comment on fait." Il m'a avoué qu'il avait du mal à être excellent dans des studios traditionnels, avec des directeurs artistiques. Il cherchait un partenaire. J'ai compris. Nous avons sympathisé, puis je l'ai invité dans le fameux temple protestant calviniste (construit en 1638) de mon village natal, Sainte-Marie-Aux-Mines (en Alsace). Le pasteur m'a fait confiance, et j'étais garant de ce qui se passerait. Mais être garant de Jacques Higelin, c'est risqué. Il est venu avec son percussionniste, et a fait le prêcheur dans un temple bondé à craquer. Les gens se bousculaient pour voir Jacques, touchés qu'il vienne, et le concert s'est très bien passé. Et nous avons travaillé ensemble.
Vos parents possédaient une scierie, dans votre village. Cet endroit n'est-il pas un peu votre Missisippi ?
Oui, c'est un peu cela. Sainte-Marie-Aux-Mines possédait beaucoup de mines d'argent. Puis, l'industrie est arrivée, les usines ont été construites, avec des logements sociaux, comme une ville de western, avec la nature juste derrière. Et au centre, se trouvait la scierie de mon père. Mais moi, je ne voulais pas la reprendre. Nous étions en mai 1968, et j'avais dix ans. Un grand vent a soufflé dans ma tête, totalement. J'ai monté un groupe de rock. J'ai pris la tangente. Nous écrivions des journaux pamphlétaires, nous organisions des concerts.
Comment s'est faite cette ouverture ?
Nous avions un internat qui accueillait tous les canards boiteux de l'académie de Strasbourg. Et ces mauvais élèves étaient évidemment intéressants. Ils nous faisaient découvrir le rock. Je me rappelle m'être rendu à Strasbourg, avec un ami, en train, juste pour aller regarder une guitare dans un magasin appelé Folk. Nous sommes restés devant la vitrine fascinés, puis, poussés par une pulsion, nous sommes entrés, et avons commandé deux guitares, cinq cents francs l'époque. Je pétais de trouille, car j'avais l'impression d'avoir commis une énorme bêtise. J'ai acheté cette guitare en bossant dans la scierie paternelle.
Comment votre père réagissait-il à vos envies ?
Mon père adorait la musique classique. Le rock lui paraissait quelque chose d'aberrant. Nous nous sommes réconciliés très tard.
Merci pour l'info.