Pim van Lommel est un cardiologue néerlandais qui a travaillé pendant vingt-cinq ans dans un hôpital. En discutant avec ses patients qui avaient été victimes d'un arrêt cardiaque, il découvre que, loin d'avoir perdu la conscience, ses patients se souviennent d'avoir vécu une expérience extraordinaire. Van Lommel décide alors d'étudier ce phénomène de façon systématique pendant vingt ans avec une équipe spécialisée. En 2001, il publie une synthèse de ses recherches dans la revue médicale
The Lancet.
Dans son livre, il explique que les « expériences de mort imminentes » (EMI) sont un phénomène qui n'est pas attribuable à l'imagination, la psychose ou le manque d'oxygène, ce qui veut dire que la conscience serait quelque chose de beaucoup plus vaste et complexe que le cerveau, et que
la conscience continue d'exister malgré l'absence de toute fonction cérébrale. Dans l'ouvrage, Van Lommel introduit ces expériences dans un vaste contexte culturel (des différentes visions religieuses du passé jusqu'au nouveaux présupposés de la physique quantique) où ces phénomènes trouvent une place cohérente.
N'importe quel médecin est amené à réfléchir sur les aspects émotionnels, philosophiques et physiologique de la vie et la mort, cependant ces réflexions ne deviennent vraiment essentielles que lorsque le médecin est touché personnellement par la mort d'un proche. Dans le cas de Pim van Lommel, c'est la perte de sa mère, alors âgée de 62 ans, et de son frère, âgé de 41 ans.
C'est peut-être pourquoi van Lommel n'accorda une réelle importance à l'expérience qu'il avait vécue en 1969 que bien plus tard. Un jour de 1969, alors qu'il est jeune médecin, l'électrocardiogramme d'un patient atteint d'un infarctus devient plat, son coeur a cessé de battre, il ne respire plus... Tout le personnel infirmier et médical s'agite autour de lui pour tenter de le ramener à la vie. son pouls reprend après quelques minutes, tout le monde exulte, sauf le patient profondément déçu que l'expérience extraordinaire qu'il vient de vivre soit terminée : il évoque un tunnel rempli de couleurs, de lumière, de paysages merveilleux, de musique. Il était très ému. le terme "E.M.I." n'existait pas encore... Ce genre d'expériences étaient considérées comme impossibles à la faculté de médecine où van lommel avait fait ses études : on lui avait enseigné qu'être inconscient équivalait à ne pas avoir de conscience... on considérait que l'arrêt des fonctions cérébrales entraînaient l'impossibilité de toute conscience (c'est le mécanicisme rigide du XIXe siècle).
Ce qui nous amène à la question essentielle, qui reste un mystère pour la science : quelle est la base biologique de la conscience humaine ? c'est une question aussi enigmatique que : de quoi est fait l'univers ?
Le livre de Michel Bounan, qui s'appuie sur l'étude de textes millénaires, rejoint celui de Van Lommel en expliquant ceci : "Ainsi, le "Je" qui anime tous les mouvements mentaux apparaît bien comme l'expression intime de cette énergie solaire, de cette lumière universelle sans laquelle aucun animal, aucun végétal, ne pourrait se maintenir en vie.
Le "Je" vivant n'est évidemment pas un acteur spécifiquement humain, pas plus que l'énergie solaire intégrée à la substance vivante dont il est l'expression mentale. C'est la possibilité d'en faire l'expérience comme sujet de soi-même, de l'éprouver comme tel et indépendamment des mouvements mentaux ou des conduites dans lesquelles il s'investit, qui est la particularité de l'être humain, et ce qui le distingue de tous les autres êtres vivants.
Un animal qui poursuit sa proie est entièrement engagé dans sa poursuite. Son désir et l'objet de son désir sont indissolublement liés. L'animal ne se constitue pas lui-même comme sujet libre et indépendant de son désir. Il ne peut donc concevoir des pensées telles que : "Je convoite cette proie", et moins encore : "hier j'ai convoité une autre proie" ou "si j'aperçois cette même proie demain, je la convoiterai de nouveau". Cette forme de conscience lui est étrangère. Et lui est interdit, de même, le langage conceptualisé, qui présuppose une telle disposition intellectuelle, c'est-à-dire la possibilité de penser le monde et soi-même comme des objects distincts face à un sujet autonome qui les observe et les décrit. C'est dans ce sens que se justifie pleinement et
a contrario la théorie cartésienne des animaux-machines que la sensiblerie des trois derniers siècles a caricaturée de façon outrancière, afin de la ridiculiser et de pouvoir assimiler humanité et animalité.
Tout au contraire de l'animal, l'être humain a la faculté de saisir mentalement le monde qui l'entoure comme un objet extérieur à sa pensée et à ses désirs. Il peut appréhender surtout sa propre pensée et ses désirs comme des objets d'examen, et s'éprouver ainsi soi-même comme pur sujet sans contenu observable. C'est grâce à cette disposition originale que lui appartiennent exclusivement, non seulement le langage conscient, mais encore la création artistique et l'activité scientifique. [...]
Ce ne sont pas les seuls effets de cette disposition humaine extraordinaire. La sensation de l'écoulement du temps et l'idée d'"éternité" y sont liées de même.
On sait que la composition physico-chimique du vivant se modifie sans cesse, dans une certaine fourchette de "normalité", selon les nécessités de ses réactions avec son environnement. Il en est de même de ses émotions, de ses désirs, de ses pensées, qui sont l'expression subjective de ces mouvements et qui varient donc avec l'écoulement du temps.
Il en est tout autrement de l'énergie solaire, captée et emmagasinée dans toutes les structures vivantes, utilisée ensuite pour animer ces mêmes structures, afin d'effectuer l'ensemble des activités physiologiques. La
nature de cette énergie est toujours identique à elle-même, elle échappe au temps, elle est littéralement "éternelle".
L'expression intime de cette énergie, éprouvée par l'être humain comme son pur "Je", reste, de même, toujours invariable à elle-même à travers l'écoulement du temps. Quand je dis : "à trois ans, j'avais peur de l'obscurité", il ne fait aucun doute pour moi que je ne suis plus le même individu que cet enfant, ni physiquement, ni surtout en ce qui concerne mes peurs, mes désirs, mes réflexions. Rien d'observable ne me permet une quelconque identificaton avec cet étranger, que je suis pourtant convaincu d'avoir été. Il existe donc une continuité, une identité abstraite et sans contenu apparent entre lui et moi. Cette identité est celle du "Je", et les vers du poète doivent être compris littéralement : "les jours s'en vont, Je demeure".
Ce "Je", qui me permet de traverser la durée et d'en éprouver l'écoulement, est assurément vide de tout contenu mental, puisque les pensées et les émotions qui étaient les miennes à trois ans - et même il n'y a qu'un instant - sont maintenant toutes différentes. Mais aucune de ces expressions mentales d'autrefois, ni de celles que je me reconnais aujourd'hui, n'a d'existence possible sans ce "Je", littéralement
intemporel, c'est-à-dire qui n'est pas soumis au temps.
Une conclusion s'impose à propos de cette traversée du temps sans changement. L'être vivant est promis à la mort seulement dans la mesure où il est soumis au temps. Ce qui est hors du temps est nécessairement
immortel. Le "Je" vivant est le seul élément mental réellement
éternel. Ni les aptitudes intellectuelles d'un individu, ni sa "morale", ni ses émotions, ni ses souvenirs, ne peuvent évidemment survivre à la décomposition de son corps physique. Seul survit ce "Je" sans mémoire et sans qualités. Et les anciens auteurs avaient de bonnes raisons d'affirmer leur vie éternelle en cette
lumière universelle qu'ils avaient éprouvée en eux-mêmes. L'idée d'intemporalité et d'éternité, qui s'exprime quasiment dans toutes les religions, résulte ainsi de cette expérience exclusivement humaine du "Je" vivant. Le "Je" apparaît ici comme la manifestation intime de la "divinité", dissimulé derrière l'illusion trompeuse des idolâtries religieuses. Et c'est bien ainsi que Mansur al-Hallaj l'entendait quand il proclamait, au Xe siècle de notre ère : "Je est Dieu." (Une telle affirmation, à une telle époque, lui valut d'être torturé et crucifié par les gardiens de l'idolâtrie musulmane officielle.)
Pour ce qui est de l'origine solaire de cette divinité, aucun catholique actuel ne devrait ignorer que le "Saint-Sacrement" qu'on lui présente à la messe est encore figuré aujourd'hui par une image
solaire; et que la messe elle-même est, depuis l'origine du christianisme, un
repas partagé, au cours duquel les convives absorbent
réellement le corps de la divinité, c'est-à-dire la lumière vivante intégrée à l'aliment. Aucun catholique ne devrait oublier non plus que la "crèche" est une vulgaire mangeoire.
Sur la tombe d'André Breton, au cimetière des Batignolles, on peut lire cette étrange épitaphe : "Je cherche l'or du temps", ce qui demeure incorruptible et toujours identique à soi-même à travers l'écoulement du temps. Mais ce "Je" qui cherche ainsi l'éternité est assurément l'objet de sa recherche, et trois siècles auparavant, Pascal lui aurait fait répondre par son
Dieu caché : "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais trouvé". Telle est l'ultime signification de l'universel
ouroboros, le serpent qui se mord la queue, aussi antique que les plus anciennes civilisations humaines connues.
L'identité du "Je" avec soi-même, qui s'affirme ainsi à travers l'écoulement du temps, se reconnaît encore dans la totalité du monde vivant. Le pur sujet est semblable dans mon expérience intime et dans celle de tout autre individu; comme il l'est aussi chez tous les vivants. Le "Je" n'est pas seulement éternel, il est
universel et
unique; comme est universelle et toujours identique à elle-même la lumière solaire qui anime l'ensemble du monde vivant.
La même énergie vivifie tous les organismes vivants, et tous les humains ont la possibilité de l'éprouver intimement comme leur propre sujet. La séparation des hommes entre eux est une conséquence de la forme physique et mentale dans laquelle leur sujet universel se trouve engagé provisoirement, forme labile, changeante et mortelle, de laquelle il se libérera au moment de la mort (à la "fin du temps"), pour s'incarner à nouveau et participer à d'autres formes d'existence.
Certes, en tant que
Moi, simple objet d'auto-observation, avec mes émotions, mes désirs, mes peurs, mes réflexions et mes conduites égocentriques, je suis différent et souvent en affrontement avec d'autres
Moi humains. Mais, en tant que pur sujet, je demeure présent intemporellement, non seulement en moi, mais en tous les vivants.
Le neuropsychiatre Peter Fenwick avait publié un livre marquant en 2008,
The art of dying qui rejoint sur bien des points celui du cardiologue Pim van Lommel :
La mort est le grand tabou de notre culture, le grand échec de la civilisation moderne. Les progrès de la médecine ont permis de prolonger la vie mais ne nous ont rien enseigné sur la question de comment il faut mourir. L'énigme de la mort continue sans réponse et nous avons besoin d'un nouvel Ars Moriendi pour le XXIe siècle. Comme dans le cas de
Mort ou pas ? de Pim van Lommel, le livre de Peter et Elizabeth Fenwick présente une riche et vaste documentation sur le phénomène du passage de la vie à la mort : visions des mourants, qui souvent reçoivent la visite de parents ou d'amis déjà décédés, rêves prémonitoires ou clairvoyants, contacts télépathiques, et aussi les expériences de certains malades qui étaient cliniquement morts. En somme, un ensemble varié de choses vécues qui indiquent que l'être humain n'est pas une créature unidimensionnelle et que l'ancienne vision mécaniciste du XIXe siècle qui prévaut encore est en fait beaucoup trop restrictive lorsqu'elle ignore les états augmentés de la conscience.
Les livres de Van Lommel et Fenwick ont tous deux été publiés en espagnol par Atalanta, une maison d'édition junguienne, également éditeur d'auteurs comme Michio Kaku, Joseph Campbell, James Hillman ou Joscelyn Godwin :
https://www.edicionesatalanta.com/novetats.phpJoscelyn Godwin,
Les harmonies du ciel et de la terre, Albin Michel.
L'Ascension vers l'empyrée de Hieronymus Bosch est associée par les chercheurs sur l'expérience de mort imminente aux aspects de la vision du tunnel.