M, Poète par nécessité

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M, Poète par nécessité

Messagepar villon » 02 Juin 2014, 23:28

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Messagepar roland65 » 03 Juin 2014, 07:20

Merci ! Mais dommage que l'article soit protégé...
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Messagepar Emmanuel » 03 Juin 2014, 07:52

Manset, poète par nécessité
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 30.05.2014 à 11h38 |
Par Véronique Mortaigne


Gérard Manset, auteur, compositeur, interprète, écrivain, photographe, peintre, s’est mis à l’écart des systèmes. Le seul carcan qu’il accepte est le sien, celui qu’il s’impose. Observateur intransigeant du monde contemporain, il en a rejeté les rituels et en particulier les apparitions publiques – télévision, scène –, toutes considérées comme autant d’impudeurs. Il n’a jamais donné de concert. Il a longtemps refusé de se laisser photographier. Puis il a diffusé quelques clichés personnels, et accordé quelques entretiens à la presse.

Mais en quarante-cinq ans d’une présence jouée sur le mode du retrait, Gérard Manset, 68 ans, a appliqué la ligne de conduite décrite en 1878 par Arthur Rimbaud dans une lettre à Georges Izambard, son ami et professeur : « Je suis poète, et je travaille à me rendre voyant… » Et considérant que le poète est un monde en soi, paranormal et exposé, le chanteur protéiforme a « revisité » ses chansons passées pour son nouvel album, Un oiseau s’est posé, paru à la mi-mai chez Warner Music.

Manset les a libérées des contraintes des époques – les boîtes à rythme de Lumières (1984) et Matrice (1989), le mode d’enregistrement mono d’Animal on est mal… (1968). Jusqu’alors travailleur solitaire, il a invité à ses côtés Axel Bauer, Raphael (Haroche), le groupe de rock belge dEUS, le guitariste américain Paul Breslin ou encore le chanteur à la voix rauque Mark Lanegan.

ELÉMENT DE LA NATURE

Ces thèmes sans loi, sortes d’intérieurs-extérieurs, de clairs-obscurs, sont exposés sans que leur maniaque concepteur en ait touché la structure, les motifs de guitare, la tonalité ou la temporalité. Dix minutes pour Lumières, près de sept pour Matrice ou Comme un guerrier (1982), mais brièveté tranchée pour Manteau jaune, composé pour Raphael en 2010. Cet exercice d’exploration de ses propres oeuvres, qui les renouvelle sans presque rien en changer, est unique. Et réussi. Gérard Manset a réalisé la pochette : lui, photographié de dos, de loin, large chemise, cheveux couvrant la nuque, fondu dans un paysage de montagne qu’il a dessiné en noir et blanc. Manset, élément de la nature, atome qui accroche les exigeants depuis son premier 45-tours, en 1968.

Avec lui, il y a toujours une première fois. Fin 2012, l’ex-étudiant des Arts décoratifs, né à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) le 21 août 1945, expose enfin ses toiles dans une galerie bruxelloise. Il veut en rédiger le catalogue, ne sait pas comment s’y prendre, nous disait-il alors au cours d’un long rendez-vous. Il cherche des talents, ils sont rares - « de l’eau tiède ». Il est sans cesse déçu, parce qu’il est resté dans une sorte d’état immature, et voit tout clairement, le mensonge politique, social, économique, plastique, esthétique. Il cite Les Habits neufs de l’empereur, un conte d’Hans Andersen – deux escrocs prétendent fabriquer un costume neuf pour le monarque, que, disent-ils, seuls les intelligents verront. Mais c’est une farce : il n’y a rien. De peur de paraître idiots, les ministres se taisent ; le peuple, aliéné, s’extasie sur l’habit fantôme. Seul un petit garçon ose crier : « Le roi est nu ! »

Gérard Manset crie autrement. Avec une voix qui vibre et une méticulosité atemporelle qui lui ont permis de créer seul des albums cultes, de parcourir le monde en le photographiant et en écrivant des romans. Moraliste, oui. Tolérant, certes, mais partisan d’une « nature » que l’abject rebute. « Croire que l’on peut reculer les limites par le trash, sans avoir la notion élémentaire du beau, est une perversion. » Manset est persuasif. Il ne faut pas se laisser faire, il vous culpabiliserait facilement, en vous convainquant de nullité. Il est un observateur des époques. La nôtre, médiatique et virtuelle, est en lambeaux, et nous en faisons partie. « Le menteur, c’est celui qui colporte. Le mensonge est conscient, lucide, et en ce sens il est éminemment répréhensible. »

Andy Warhol a accompagné la seconde moitié du siècle passé, il a décrit une génération qui découvrait les voyages en avion, la mode, où l’on pouvait boire, se défoncer, être homosexuel. « Warhol, Kerouac ont été une sorte d’ouverture tout à fait louable, très productive sur le plan de la création, puisque d’un coup on a retiré les chaînes à tout le monde. Mais forcément quelques farceurs sont arrivés là-dessus. Ce n’est pas une machination, c’est juste le produit de l’oisiveté. »

UNE DISCIPLINE VENUE DU VOYAGE

Les mots lui viennent en logorrhée, nous disait-il encore ce jour-là. S’il a quand même réussi à raconter, décrire, inventer, ce ne fut pas par plaisir mais par nécessité. La discipline lui est venue du voyage, « un art sans retour » qu’il a pratiqué intensément et où il a pris le pli du « carnet de route précis, mécanique, mathématique ». Chaque jour, quatre ou cinq pages, conçues dans une démarche similaire au dessin, retranscrivant « à titre strictement nombriliste » les étapes de la journée, dans un mouvement d’étude documentaire. Le voyage impose l’urgence, comme le dessin ou le karaté. « C’est à 300 à l’heure, il faut choisir le bon bus, le bon avion, le bon hôtel, le bon taxi, ne pas oublier la moitié de son barda en route, sa brosse à dents, sa lame de rasoir, son colt. Il faut aller vite. Tout ramasser et dégager. Avoir la sensation de l’acuité, d’attraper au vol. »

Gérard Manset, enfant, va à la chasse avec son père. Ensemble, ils débusquent la sauvagine – bécassine, col-vert – en baie de Seine et dans les marais de Carentan, dans le Cotentin. Voilà qui génère des souvenirs très exotiques : de longues marches avec des cuissardes sur des kilomètres et des kilomètres de vase à marée descendante, « la passée du matin, la passée du soir ». Cette chasse aux oiseaux migrateurs est un exercice de patience, d’attente et de vivacité. Au retour, l’adolescent fait des dessins de gibier.

Ensuite, Manset étudie aux Arts décoratifs. Il expose, répond aux invitations de salons, celui d’Automne, celui des Artistes français. Il est lauréat du concours général de dessin en 1964. C’est André Malraux, alors ministre de la Culture, qui lui remet le prix. La famille Manset a un voisin, le peintre Maurice Brianchon (1899-1979), membre du groupe dit de la « Réalité poétique » et professeur aux Beaux-Arts. Il conseille à Manset de « dessiner de la main gauche », parce que son dessin « est trop parfait ». L’habileté est la pire des choses, elle ne traduit rien.

A l’école, il a des mauvaises notes, plutôt hors du monde, « plutôt là par erreur, rêveur d’autrement ». Il ne se prend pas pour un artiste. Sans personnalité, il n’a rien à dire, il ne voit rien. Il sera fumiste. « Après tout, je me suis dit, l’habilité, ça fera la blague, ça en trompera certains. » Fumiste, oui, mais fumiste dans le défi. La musique en fut un, majeur. « Quand la musique est arrivée avec Animal on est mal, en 1968, là, c’était le contraire de l’habileté. J’avais tout contre moi, je chantais mal, ça ne voulait rien dire. Il y avait un seul accord et je ne savais pas comment le produire. Et j’ai dû résoudre des problèmes que personne n’aurait pu résoudre, Là où j’avais tout contre moi, j’arrivais à être magistral, tout du moins positif, concret, réaliste, productif. » Les textes étaient surréalistes et « c’était facile d’y voir du talent, une originalité ».

BACH « DOIGT À DOIGT »

Le jeune dessinateur doué avait piqué la méthode de piano de sa sœur. Il avait appris Bach « doigt à doigt, pas à pas, et là, j’ai bien été obligé de mesurer que je rentrais dans des domaines irrationnels, qu’enfin les portes s’ouvraient sur l’autre côté du miroir ». Manset passe alors à la musique, publie un premier album, Gérard Manset (1968), puis La Mort d’Orion (1970), irrationnel, partant là « Où l'horizon prend fin / Où l'œil jamais de l'homme n'apaisera sa faim / Au seuil enfin de l'Univers ». « J’étais dans l’inconscient, ce n’est pas moi qui ai fait cet album, je ne sais pas qui l’a fait. » « Royaume de Siam, Attends que le temps te vide, Matrice sont, en comparaison, des disques responsables. » Ayant appris la vigilance, l’artiste gère son inspiration.

Dès lors, Gérard Manset avance sur trois fronts : l’écriture, la musique, l’art pictural. « La musique me venait du ciel, j’étais une sorte de paratonnerre. Le truc me tombait, je transcrivais, en faisant très attention, comme quelqu’un qui prendrait la foudre en veillant à ne prendre que le nécessaire et en sachant où la diriger. Mais je suis monomaniaque, je ne peux pas faire deux choses à la fois, donc j’ai enfilé le costume de compositeur, du gestionnaire de studio, d’ingénieur du son [au studio Milan, qu’il crée en 1970], et je laissais tomber celui de l’artiste peintre et du bonnet bouffant. »

Manset musicien est en porte-à-faux avec l’industrie du disque. Ses albums, publiés sur son label, Zenon, sont entièrement « made in Manset », des compositions aux pochettes. En 1980, il cède ses parts du studio Milan à son associé, Jean-Paul Malek. Il est revenu en amour avec la peinture après la publication, en 1976, de l’album Rien à raconter. Pendant trois ans, il « joue » l’atelier, tout en continuant la musique, jusqu’à enregistrer, justement, L’Atelier du crabe (1 981) – « L'Atelier du crabe / Y a rien sur les tables / Pas de musiciens minables / De chanteurs inconsolables / On s’pousse un peu / Pour voir le maître des lieux / Cligner des yeux / Mettre du rouge ou bien du bleu / Du rouge ou bien du bleu ».

Daltonien, il ne perçoit pas certains à-plats, et voit parfois deux couleurs là où il n’y en a qu’une. Qu’importe. Picasso, son héros, le peintre total, heureux, prenait du bleu quand il n’avait pas de rouge. Peindre, dessiner est une sorte de gymnastique ascétique, martiale, comme faire des pompes, boire du thé vert, manger du riz blanc, s’abreuver d’eau, en essayant d’être transparent. Ce sont les leçons du voyage, où Gérard Manset, amoureux du Kodachrome, a utilisé la photo comme carnet de croquis, rendant compte de la nourriture, des rencontres ou des chambres d’hôtels, modestes, à Manille, à Recife, à Nakhon Pathom, à Cotabato, à Varanasi (Bénarès), à Calcutta, à Iligan, avec autoportrait, grand brun assis sur un bord de lit, allongé, reflet dans un miroir. Il a photographié des mondes à jamais perdus – des quartiers démolis à Paris, en Haïti ou à Bogota ; des temps heureux passés en famille en Polynésie, avec ses deux filles alors préadolescentes ; des villes tentaculaires qui ont proliféré, avec leurs enseignes publicitaires qui ont remplacé les bouges et les bordels.

En fin de compte, Gérard Manset continue d’avancer. Il a très peu de regrets. L’un est de n’avoir pas été présent lors de la chute de Saïgon, marquant la fin de la guerre menée par les Etats-Unis au Vietnam, en 1975. L’autre est de n’avoir jamais trouvé un enseignant, un vrai, qui s’autorise à expliquer sans discussion possible de l’élève les bases de la peinture à l’huile.
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DÉPROTÉGÉRARD

Messagepar eNigmaNick » 03 Juin 2014, 08:27

Merci pour le copier-coller ! :-)
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Messagepar Niki » 03 Juin 2014, 10:30

Merci, magnifique !!
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Messagepar Emmanuel » 03 Juin 2014, 11:34

Oui un bel article.
Manque plus que Libération... Bayon n'a peut-être pas aimé.
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Messagepar villon » 03 Juin 2014, 18:13

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Messagepar Niki » 04 Juin 2014, 10:24

Merci, mais il faut une loupe puissante pour la photo !!
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PHOTO-MONDO

Messagepar eNigmaNick » 04 Juin 2014, 11:04

EDIT: j'avais mis ici un lien vers la photo du Monde, mais ça ne fonctionne point.
Modifié en dernier par eNigmaNick le 05 Juin 2014, 10:56, modifié 2 fois.
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Messagepar villon » 04 Juin 2014, 11:23

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Messagepar villon » 04 Juin 2014, 13:38

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Re: PHOTO-MONDO

Messagepar labbé » 04 Juin 2014, 20:10

eNigmaNick a écrit:http://bit.ly/1oVcasb

Est-ce que ça fonctionne ?
non
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Messagepar roland65 » 04 Juin 2014, 20:29

Un avis intéressant sur l'article de Télérama :
http://www.le-carnet-de-jimidi.com/arti ... 23002.html
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