Pierre2 a écrit:Claire a écrit:Et oui, ça me fait toujours sourire les gens qui disent qu'ils n'aiment pas la poésie et sont si touchés par certains textes de rock (Cantat en particulier).
Je ne suis pas spécialement fan des textes de Cantat, mais je reconnais que ceux-ci sont travaillés et sont meilleurs que le tout venant du rock français d'un point de vue formel. Mais j'ai le même problème avec la poésie qu'avec le vin, j'ai du mal à différencier un grand cru d'une piquette. En fait je n'aime pas réellement le vin, ça doit vouloir dire que je n'aime pas la poésie non plus. J'aimerais avoir ton avis sur un texte d'un groupe de black metal. Ce texte a été écrit par un jeune homme qui doit probablement avoir dans les 22-23 ans, qui a probablement dû arrêter l'école assez jeune, et qui n'a pas les idées très claires (a flirté avec des références idéologiques plus que malsaines, mais comme je l'ai dit il est très jeune). Et malgré tout je trouve ses textes travaillés, et je me demande quelle valeur poétique ils peuvent avoir (pas grand chose j'imagine). Bon, trêve de bla bla, voici le texte (attention c'est cru):Chute Pour Une Culbute :
Sperme noir de soir en soir tu t'immisces
Carnage incarné au cœur de l'orifice,
Criminelle crasse au fond des fentes grasses,
Neige, brûlures, qui pour toujours glace
Les corps chauds une nuit
Ravis
Qui demain s'effacent
L'écorce salace
Lentement écorchée...
Déesse Sida tu pourris
Ravage
L'humaine porcherie.
Tes Proies, genre cadavre,
Le faciès défoncé blafard comme une tombe
Tombée dans le fossé
De tous les périmés,
S'enfoncent
Dans l'égout de l'oubli...
De leur trou désormais
Elles pleurent et contemplent
Le terrestre temple
Des vivants,
Le seul à jamais
Où elles auront pu
Rejoindre le ciel
A travers un cul.
D'abord même si je joue les madame-poésie ici, je ne suis pas sûre de savoir faire la différence entre un grand cru et une piquette, et est-ce que j'aime vraiment la poésie ? pas sûr......il y en a beaucoup qui m'ennuie ou que je trouve ridicule.
C'est vrai que ce texte est travaillé et il a de l'originalité dans les images; et il est représentatif d'une esthétique particulière, avec ses outrances et ses codes.
Sur les forums de poésie, il y a beaucoup de jeunes gens très très doués. La plupart continuent à écrire et écrivent de mieux en mieux. Je ne sais pas ce qu'ils donneront après. la poésie ne mène pas à grand chose pour une carrière littéraire.
exemples : Florian 27 ans
(nt)
Nous rentrons, des désordres en chemin,
Des terres brûlées et quelques sensations
Des pelotes de poésie ramassées comme des chats,
Sauvages et quelques espoirs sur la ligne citadine.
Nous passons par la dernière étape de la journée,
Sur le palier de la laine déchirée par du verre
Des paroles dans la bouche trouvent refuge
Familières et réduites en petits paquetages
ou Renaud Brébant, 21 ans :
L'invitation
Souviens-toi de nos années électriques
les allées vêtues de l'ombre des arches
la lumière crue sur nos poings chauves
et la saveur de la course
Passe-moi le sel de la vie, camarade
que j'assaisonne mon souffle au cœur
mélange mon pire à ton meilleur
on a une ville à faire suer
Adrien 25 ans :
En écoutant Claude Nougaro
Il est difficile d'écrire toujours pour une femme. L'écriture souffre des petites habitudes, et je haïssais ces gribouilleurs capables, jour après jour aux mêmes heures, fonctionnaires dans leur loisir qu'ils avait fait profession, de se mettre au bureau comme d'autres à table, pour écrire leur quota quotidien.
Et pourtant je savais ces heures perdues à ne rien produire, où la discipline comme une bestiole volante me taquinait, restait à ma portée pour peu que je me concentrasse, m'échappait aussi avec la grâce boiteuse de ces insectes dont on ne saisit l'utilité hors de nous énerver, et une grande lassitude enveloppait mes mouvements que je blâmais n'être assez solides pour ne pas me lever. J'allais à la fenêtre. Le soleil proposait son jaune aux autres couleurs avec l'insistance de tirs soutenus, et la résistance des vitres volait en éclats ; éclats reflétés ensuite dans mes yeux éblouis. Je n'y voyais pas grand chose et ma vue déjà n'était que le lointain descendant de cette vue, enfant, où je savais distinguer dans tout paysage un océan et un désert, un bateau et une armée, une colline et des avions. Je passais dix minutes ainsi à regretter l'absence d'images dans celles banales qui défilaient devant moi, et des mouches cognaient parfois à cette demi glace que sont les vitres, où le miroir est trop faible pour se reconnaître, mais assez présent pour attirer.
Sans cassure, il venait des minutes où je me rasseyais. Je reprenais le papier, et il me semblait que sur lui aussi, mes yeux venaient de perdre leur pouvoir incantatoire. Aucune des mélodies suggérées tout à l'heure, tandis que je courbais ces lettres pour les faire entrer sur la feuille, ne me revenaient. Où ont passé ces escargots de ma pensée, dont les coquilles vides s'écrasaient maintenant sous les coups de gommes de ma relecture ? Mais je n'effaçais encore rien. Je me relevais.
Car ces lignes, je les avais couchées pour une femme, indistincte et pourtant aux traits définis, que je ne confondais avec ceux d'aucune autre. Et il m'était facile de faire ce lien trivial, de penser que toutes ces lettres, ces "L" qu'on retrouvait dans son nom, je les couchais pour la dessiner, puisqu'à défaut de croquis j'empruntais pour l'atteindre les versants des phrases, comme le côté moins accessible mais plus intime d'une montagne lointaine. Et déjà, debout et dépassant les meubles que tantôt j'associais à des adjectifs, que j'emprisonnais dans des formes vagues puis étroites, les voyelles de mon texte ébranlaient le décor de ma chambre, chamboulaient un ordre confirmé entrée après sortie depuis mon emménagement.
Je ne savais longtemps écrire dans un lieu nouveau. Toujours, il me fallait le fuir au bout de quelques semaines, trouver un autre banc à taguer, une autre rue à baptiser, un nouvel oracle à fréquenter. Toujours, les lieux où déjà j'avais couché trop de mots, comme un lit de prostituée, me dégoûtaient, devenaient sales, blancs gris puis noirs jaune - pourris.
Et alors, un nouveau levier s'annonçait pour continuer ma maladroite tentative d'écrire. Sans changer de lieu, je changeais de culte, je bafouais le visage de celle visée jusque là, je mettais le cap sur une nouvelle île, puisque toutes les femmes que l'on désire habitent, seules, une île où nous n'avons encore pas mis le pied. Et de cette fenêtre décevante, de ce soleil semblable à celui de la veille, se déversait maintenant les contours encore flous mais déjà décisifs des nouveaux massifs rocailleux où j'irai dès cette nuit chercher mes nouvelles phrases.
La poignée de ma porte m'allait en main comme une virgule. (...)
Anton, 18 ans :
Poème sous vide d'air
On parle encore de haut en bas par les fenêtres
seulement
les décors ont changé
ce soir sur la rivière
qui ne reflète plus ni les bruits ni les étoiles
le monde a la forme des ronds de fumée
que tu lances comme des bouées de sauvetage
dans l'abat-jour du vestibule
tu as le vent dans la poitrine
un cadavre d'enfant dans l'angle du couloir
dans un coin de décembre une ampoule sans lumière
ou plutôt
les dernières miettes abandonnées sur la paume de la table
sont le contour de ton visage
et sur le papier peint l'odeur du siècle qu'on efface
tel un sourire
tu cherches à discerner les souvenirs qui passent
comme l'éventail d'une gifle jetée contre les vitres
pas une main tendue
pas même une corde ou un grappin
lancé de haut en bas à travers les étages
tu as les yeux couverts de neige
et de poussière
tu cherches le futur
comme à colin-maillard sur le toit d'un gratte-ciel
et tu as beau garder la tête renversée en arrière
il n'y a rien qui tombe
pas même le plus petit le plus terne des murs
alors
tu ouvres la fenêtre
le silence est complet
ou Gnossienne du TGV
Ce soir tu ne sais plus où tu es sur la terre
tu es debout entre les arbres angulaires
et tes jambes s'entrechoquent
comme des mâchoires qui claquent
comme une fenêtre ouverte autrefois dans le vent
ou comme le ressac immense des gyrophares
qui berce les étoiles sur les ponts amputés
Ce soir la crevasse de la ville a les lèvres gercées
elle a un goût de vieux tabac
la ville
la ville est pleine de neige
de cendre et de galets
qui coulent sur les trottoirs
et sur le toit du vieux manège qui dort
place des Révolutions
tu peux sentir
la nuit dénouer sa muselière
tu peux entendre
comme on joue du piano sur la peau d’une hanche
les cigales de neige de tous les squares de tous les bancs de tous les réverbères
les piverts
les corbeaux
les mesures de Satie
Tu marches dans la ville
et malgré ce "je est un autre" tu es seul
les têtes crissent sous tes pieds
sous les pavés
et sous la glace
qui se crevasse
ce n’est pas elle qui craque ce sont les os du monde
et les volets entrouverts des maisons
au chevet de tes lèvres qui saignent dans le ciel
tu rêves d’un rire
d’une bouche à demi soulevée sous le poids des naufrages
tes pas salissent les réverbères
ton cœur s’arrête
tes mains s’endorment
dans le rétro du vieux taxi
où l’enfant s’est perdu
en demandant sa route
passage des heures
tu es assis à tes côtés à bord du TGV
sur la septième voie de la septième gare
il est sept heures du soir
et tu te demandes à qui sont les visages
abandonnés aux places 58 et 59 A
la vie est là
sur l’autre rive
entre elle et toi il y a les vitres et la vitesse
et les lumières assourdies d’une gare
qui passait là
sans crier gare
et la mer monte
entre les sièges qu’on ne distingue déjà plus des récifs
ni des parois ni des mâchoires
entre lesquelles ton regard tangue
…
les lumières de la ville au fond c'est comme le Gulf Stream
surtout les jours de pluie sur les vitres
les jours de vent
les jours de neige et de vitesse
quand la brûlure se reflète jusqu’au fond de ton ventre
jusqu'à dissoudre les rails qui s'égrènent et s'enfuient sous le roulement infini de ta course
et jusqu'à les quitter
pour plonger dans la nuit
la nuit de fer
la nuit fondue
et opérer enfin la soudure d’âme à âme
le choc
faute de mieux
la mer monte
à nouveau tu entrouvres tes yeux
qui ne savent plus dormir
qui ne savent plus mentir
qui ne savent plus partir
tu regardes à bâbord
dans le compartiment
tu regardes à tribord
le milliard de lumières où Dieu n’habite pas
et cette fille qui est belle comme une coiffeuse
quand on ferme les yeux
mais tu ne sais parler ni aux hommes ni aux femmes
seuls les murs te répondent
et les vitres du train
au front desquelles ta tête furieusement titube
et tu ne peux aller plus loin dans l’atmosphère
que cet endroit exact où ton crâne sur la vitre en chavirant explose
plein verre
ou plutôt
pleine mer
à présent tu ne veux même plus
savoir qui perd ni qui gagne
tu ne veux même plus
comprendre
le regard se perd dans l’horizon
dans la lumière qui roule son torse comme une étoile où tous les chiens s’enfuient
et même à n’y rien voir
tu peux encore être celui qui écoute
le passage des heures
arrêté dans les ports
arrêté dans les gares
tu peux encore être celui qui entend
dans la poitrine un loup qui court
et la rosée qui s’abat sur les vitres
comme un torrent
entre les champs et les forêts
la neige le bruit le temps
au fond des usines abandonnées
dans les refrains d’antan
tu peux encore être celui qui cherche
la source du vacarme
ou seulement
ton image
destination gravée
dans le bois d’un visage
tu peux encore être celui qui prie
sans aucun dieu sans aucune racine
autre que le bruit de ce train dans la nuit
et le silence ancien de la poussière
qui tombe du plafond
Et il te reste à inventer
le monde
l’espoir
la pluie et la lumière
et les ruades immenses des bateaux sur la mer
il te reste à monter
d’un seul mot d’une seule voix au fond de l’atmosphère
il te reste à crier
à frapper ton cerveau sur la chair des barreaux
il te reste à passer
de l’autre côté du regard
Ce n’est pas le train qui fait ce bruit de ferraille
c’est ta tête et ta langue et ton corps tout entier
qui frappent contre la vitre
Dehors
on entend un tamtam qui bat des mains
qui bat des pieds
qui bat des lèvres
dans un pays sur un trottoir
et les baguettes du tambour sont dressées dans la nuit
au bord de chaque rail
et tu étouffes
encore
tu ouvres grand les yeux
d’un grand coup de paupière
tu as fendu le verre
tu as jeté les heures comme du ballast entre les rails
et la nuit est entrée
dans le compartiment
tu regardes dehors
la nuit
la voie ferrée
le vent et la vitesse
et la neige qui tombe
arrêtée dans les ports
arrêtée dans les gares
déjà le pouls du train faiblit
la ligne de vie se taille
la ligne de fuite
s’éclipse
tu descends sur le quai
et tu allumes une cigarette qui fait du bruit comme une grenouille le soir au-dessus des marais
tu suis des pas des flaques déjà tout tracés dans le néant des bruits
et tu t’enfonces
dans la gorge du monde
arrêté dans les ports
arrêté dans les gares
tu es tout seul entre les piliers angulaires
et tes dents s'entrechoquent sur le béton du quai
et tu dis Merde
Je connais la douceur
apprenez-moi la paix
(il y avait une fille aussi, il faut que je la retrouve).