Aujourd’hui, la démocratie est morte et tout le monde s’en fout.
Dans tous les pays où des sondages sortis des urnes se pratiquent lors des élections, on considère qu’un écart de plus de trois ou quatre points entre ce sondage et les résultats constitue une preuve flagrante d’une fraude électorale, comme on l’a vu en Russie récemment. Que les primaires américaines fassent apparaître un écart de 12 (douze !) points, et la presse se demande comment les instituts de sondage ont pu se tromper autant. Force est de conclure que l’amérique n’est plus qu’une démocratie de façade, et que sa presse n’a de libre que son prix de vente. Mais tout le monde s’en fout, on préfère continuer à croire que les U.S.A. sont une grande démocratie, tout le monde sait ça mon bon monsieur.
Lors du référendum sur la Constitution européenne, la France a connu un débat sans précédents depuis mai 68. Et le traité constitutionnel a été majoritairement rejeté. On aurait pu assister à un nouveau débat, à la mise en place d’une nouvelle convention, voire d’une assemblée constituante, pour parvenir à un texte qui puisse être approuvé. Au lieu de ça, on découpe le texte en morceau pour donner l’impression d’un nouveau traité tout en le rendant, selon l’aveu de M. Amato qui co-présidait la convention avec M. Giscard d’Estaing, volontairement illisible. Et on le fait voter par un congrès qui n’en a probablement pas compris les enjeux réels.
Mais halte-là entend-je, c’est parfaitement démocratique tout ça, on ne va pas remettre en cause la représentativité des élus quand même. Sauf que là on touche la limite de la démocratie représentative, celle de la légitimité du processus qui consiste à faire entrer par la fenêtre ce qui avait été mis à la porte.
Quand aux enjeux réels du traité, ils se cachent derrière des articles techniques et subtils dont bien peu, y compris parmi les membres du congrès, peuvent saisir toute la portée. Faites un test : il est dit dans le traité que les états s’interdisent d’emprunter à leur banque centrale. Posez la question autour de vous : combien peuvent imaginer les conséquences de ce petit article technique ?
Combien comprennent que cet article signe l’arrêt de mort des classes moyennes ?
Les classes moyennes, c’est la hantise de tout gouvernement car ce sont les seules qui soient en mesure de le renverser. Les pauvres sont trop occupés à joindre les deux bouts, et les nantis n’ont aucun intérêt à le faire tant que le dit gouvernement sert ses intérêts. Or, on constate que toutes les politiques menées depuis les années 70 en occident ont conduit à la disparition progressive de ces classes : si la richesse globale augmente, le différentiel aussi ; les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres, et la barre pour passer d’un camp à l’autre est de plus en plus difficile à franchir. Et on constate une corrélation entre ce phénomène et l’augmentation de la dette.
Si on regarde quelles sont les classes les plus pénalisées par l’impôt, on constate que ce sont les classes moyennes. On voit des cas absurde où une petite augmentation de salaire vous fait passer dans la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, avec pour résultat une diminution du pouvoir d’achat. Une bonne politique sociale consisterait à corriger les mécanismes d’imposition pour favoriser l’accession à un meilleur niveau de vie, or c’est l’inverse qui se produit. Car cela coûterait cher en perte de recettes. Et qu’il faut bien rembourser la dette, que cet article du traité pérennise puisqu’il interdit, de fait, aux états d’exercer leur droit régalien à battre monnaie – ou à emprunter, sans intérêt, à leurs banques centrales, ce qui revient au même.
Le traité de Lisbonne instaure ce que M. Delors appelait dans ses mémoires un « despotisme éclairé ». Despotisme n’est pas démocratie. Même éclairé. D’autant plus qu’on voit bien qui tient la chandelle.
Aujourd’hui, la démocratie est morte et tout le monde s’en fout. Nous l’avons enterrée dans la plus parfaite indifférence, tout occupés que nous étions à nos plaisirs consuméristes. Nous qui croyons encore que la presse informe. Nous qui faisions la fine bouche devant les « bourdes » et les « incompétences » de Royal. Nous qui croyons encore que les Etats-Unis sont un pays libre et Hugo Chavez un infâme dictateur. Nous qui acceptons qu’on restreigne nos libertés « pour notre sécurité », ben oui avec tout ce qu’on voit à la télé on est bien content d’être filmés dans les couloirs du métro. Nous qui accepterons demain que nos enfants portent un implant d’identification permettant à tout moment de les localiser « si jamais ils étaient enlevés par un pédophile ». Nous qui pensons que de toutes façons on ne peut rien y faire.
Kennedy disait que lorsqu’une révolution pacifique n’était plus possible, une révolution violente était inévitable. Nous y sommes. Aurez-vous le courage de prendre les armes ?