Raphael déployé
Chanson. Quatrième album à la production soignée.
LUDOVIC PERRIN
QUOTIDIEN : lundi 17 mars 2008
Pourquoi y a-t-il des avions dans les chansons de Raphael ? C’est une vieille histoire. En 1932, ses arrière-grands-parents maternels (Lang-Villar) sont rescapés de l’incendie qui coule le Georges Philippar, ramenant Albert Londres de Chine en France. Le couple, qui s’est lié au journaliste, se voit confier un reportage sur la Chine embarquée dans un trafic d’armes, de drogue avec infiltration bolchevique. Mais l’avion de secours envoyé par le journal Excelsior s’écrase au-dessus de l’Italie. Les Lang-Villar, décédés, ne pourront relater ce que leur avait confié leur ami mort sur le bateau.
Fragilités. Raphael se demande pourquoi il raconte ça. «Je connais l’histoire depuis tout petit. Mais je m’en foutais, jusqu’à ce que je comprenne que c’est de là que me venait ma phobie de l’avion.»Il prend depuis un an des cours de pilotage. Avec son premier album, Hôtel de l’univers (2000), Raphael Haroche, fils d’un Russo-Marocain et d’une Argentine, mariés, divorcés puis remariés, a commencé à raconter ce qui affleure dans ses chansons. Des histoires d’aller simple, de routes sans fin, le fantasme du voyageur immobile.
Il y a quelques mois, en pleine descente de Caravane (troisième chanson la plus diffusée en 2005), 1,8 million d’albums vendus, trois victoires de la musique, une grosse tournée, Raphael raconte à Gérard Manset son apprentissage du coucou. «Nous parlions de Saint-Exupéry et lui est venue l’idée de Concordia. C’est une vallée en Argentine où Saint-Exupéry s’est échoué. Il y fut superbement accueilli. Manset a écrit le texte en deux heures.» La musique est venue en Camargue, chez Stephan Eicher.
On pourrait commencer le quatrième Raphael par là : «Dans un petit avion je me suis posé, c’était vers Concordia dans une autre vallée, deux enfants m’ont guidé car j’ai brisé ma roue, voyez-vous la nuit en dessous.» C’est une des meilleures de l’album, avec le Vent de l’hiver et Adieu Haïti. On y retrouve, outre ce particularisme de voix, les obsessions du chanteur, dans le rétroviseur inversé d’une innocence maîtrisant ses fragilités. Sans présager que l’album remporte le même succès queCaravane, sa production lui donne une rondeur et des angles qui accrocheront les amateurs, mais pourront décevoir ceux qui avaient apprécié le décrochage entre Hôtel de l’univers et le deuxième album(la Réalité).
Invités. A nouveau, le casting donne le tournis : Tony Visconti et Renaud Letang à la production, toute la bande de David Bowie (Gail Ann Dorsey, Carlos Alomar…) aux instruments et quelques invités de choix (Robert Aaron, Mino Cinelu, Boris Bergman pour un texte et Frederick Hibbert, des Toots and the Maytals, sur Adieu Haïti). Une continuité, donc, mais en rupture, avec ses couleurs tsiganes, reggae et caribéennes. Raphael semble avoir définitivement tourné le dos au rock des débuts. Il est au bon endroit pour accueillir une voix qui a pris de l’assurance, dont on cerne plus les contours, ce mélange sucré-salé disant doucement ses colères.
C’est ainsi que Adieu Haïti fait écho à l’actualité. Raphael, chanteur des sans-papiers ? «On en a déjà parlé. Voilà, ces histoires de passeport, je ne comprends pas. Ça me paraît juridiquement infondé qu’en fonction de sa nationalité on ne puisse accéder à des territoires. Que d’autres mondes existent à quelques heures d’avion me paraît plus excitant que de savoir qu’il y a une vie après la mort.» Quand on vole au-dessus la Seine, avec un peu d’imagination, il paraît qu’on se croit en Afrique.
Source: http://www.liberation.fr/culture/315986.FR.php