Animal on est bien
Il ne fait rien comme les autres, et c'est tant mieux. Connu pour être le plus méconnu des chanteurs français, rétif aux interviews, refusant net les passages télé, jamais monté sur scène, voilà que Manset balance tout: bouts de vie, d'enfance (dans les beaux quartiers parisiens), amours , montée de sève d'adolescence, premiers enregistrements dans les années 80, navigation chahutée dans le showbiz et surtout, attelage avec Laurent Malek, l'ami, le complice endiablé, celui avec qui il s'enferma des années dans le mythique studio de Milan, d'où sortirent les merveilles: "Il voyage en solitaire", "les vases bleues", "le masque sur le mur", etc.
Et l'on découvre que le "solitaire" à l'univers si personnel n'est pas ce poète éthéré qu'on pourrait croire, mais un agité du bocal hyperactif, déconneur, curieux de tout, certes emmerdeur fini, mais doué pour l'amitié, et traçant sa route, "on la prend qu'est ce que ça coûte". Le style cursif, gouailleur, rien à voir avec la haute poésie des chansons, quoique: jaillissement maîtrisé; inspection du bestiaire, mésange à capuche, orvet, Vache qui rit, poux, etc.; "innocences grandioses"; cicatrices encore à vif ("cette tortionnaire de saint Pie X. Elle me frappait cette truie"); retours au paradis de l'enfance, où toutes choses se défont: "Il s'est enfui un bon paquet d'années et voilà le résultat. c'est plein de molosses. je ne sais pas trop qui surveille ça. poignées de dépenaillés... voilà ce qu'ils ont détruit et bousillé, Malek..."
Avec "Royaume de Siam" (le livre), Manset avait déjà tout dit de sa fringale de voyages. Ici, il raconte le retse: le plus secret des chanteurs est aussi celui qui s'expose le plus. mais à sa façon, anachroniquement libre, détaché, fidèle à sa ligne:" découper le monde à coup s de rasoir pour voir au coeur du fruit le noyau noir".
Jean-Luc Porquet