Dans sa traversée des apparences, Manset fait penser à l’élève insolent et fumiste que fut Arthur Rimbaud, expliquant à son professeur de collège, Georges Izambard, les raisons qui le poussaient à s’extirper de l’eau tiède, de la pensée commune et d’une « poésie subjective horriblement fadasse ». Comme s’il n’avait jamais eu d’autres choix envisageables, Gérard Manset vibre depuis toujours au diapason d’un temps artistique propre, tendu à briser les chaînes, construit de façon mathématique et scandé par une discipline méticuleuse, à la limite de l’obsession. Autodidacte, tout sauf oisif, à l’école il a de mauvaises notes, se laisse bercer par ses rêveries mélancoliques, mais à la maison, il avance méthodiquement sur trois fronts : la musique, l’écriture et la peinture.
Lorsqu’on écoute les arrangements de guitares, cordes et sitar présents dans des albums concept comme La Mort d’Orion (1970), Royaume de Siam (1979), Comme un guerrier (1982) ou A Bord du Blossom (2018), la signature de Manset - fouilleur de partitions symphoniques - ne peut guère échapper à l’oreille. Il ne s’agit pas que de sensibilité, mais d’une « attitude », qu’il évoque d’ailleurs dans son livre Cupidon de la nuit (2018, Albin Michel), à travers l’un de ses personnages « toujours dans ses calculs, les yeux en chasse sur des petites choses intéressantes, mais pour lui seul. » Manset a l’œil, l’oreille et la plume – « je ne sais pas où ça monte, comme au poker les as », dit-il – et ses plus belles compositions sont traversées de fulgurances, d’éclairs et de formules qui frappent l'esprit, pour saisir à bras-le-corps les questions les plus insondables de l'existence.
Tel est le cas de L’Algue bleue. Vingt-quatrième album studio de Gérard Manset, ce nouveau projet musical est le témoin fidèle d’une carrière vouée à des allers-retours dans le temps. C’est une histoire qui se poursuit, parsemée d’indices autobiographiques et à l’ambiance sonore et visuelle chimérique, à l’image de la pochette du disque – le visage d’une femme comme tombée de la lune. L’enfance s’y balade du prélude à la queue, portée par l’imaginaire débordant d’un adulte qui n’a jamais cessé de s’émerveiller. Ballades d’une lenteur quasi brucknérienne côtoient valses syncopées et envolées de rock psychédélique. Arpèges de guitares et variations d’harmonies aux dissonances délicieuses soutiennent la voix de Manset qui se transforme tout le long de ces neuf morceaux en pur instrument.
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