Hommage à Tony Joe White.

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Hommage à Tony Joe White.

Messagepar Arthur Gordon Pym » 28 Oct 2018, 16:34

Tony Joe White est mort le 24 octobre 2018.

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Ses proches ont pris soin de l’annoncer via un communiqué publié le 25 octobre : Tony Joe White est malheureusement décédé d’une crise cardiaque, chez lui, dans sa maison de Leiper’s Fork en plein Tennessee, à l'âge de 75 ans. « Il n’était pas malade, il n’a pas souffert » a précisé son fils Jody White. Il était un indéniable pilier pour le blues, mais plus particulièrement du swamp rock : ce fameux mélange atypique des saveurs du rock, de la country, du boogie et du zydeco.

Fils de métayer, swamp rocker à rouflaquettes, il a connu le succès en France avant de percer aux Etats-Unis

«Raymond», le serpent à sonnette que Tony Joe White portait sur sa courroie de guitare, va y aller de sa larme, et nous aussi. Après tout, le chanteur du marécage («Swamp Rock» est l’épithète qui lui collait à la peau) a eu du succès en France avant de le trouver chez lui : grâce à l’entreprenante jeune équipe de Barclay International (Bernard de Bosson, Philippe Rault, Jean Mareska et toute cette bande), Soul Francisco était devenu un hit dans l’Hexagone, et en janvier 1969 Polk Salad Annie avait explosé en France bien avant de percer aux Etats Unis, sur Monument Records.

Né en 1943 à Oak Grove en Louisiane à moins de trente kilomètres du Mississipi, White était le cadet d’une portée de sept enfants et a grandi dans une ferme à coton. Ce fils de métayer était donc plus terroir que bien des chanteurs de blues. Chez lui le soir toute la famille jouait sur le porche, principalement du gospel et de la country. Mais c’est à 14 ans, quand il a entendu à la radio Ode to Billie Joe de Bobbie Gentry, que le garçon a su ce qu’il voulait faire plus tard ; ça et les blues rugueux de Lightnin’Hopkins. S’il a bien percé en pleine vague hippie et vogue wah-wah, Tony Joe White était un «good old boy» pur jus, avec des pattes à rouflaquettes grandement plus alarmantes que ses pattes d’eph'. Quand Elvis se préparait à enregistrer Polk Salad Annie à Las Vegas, l’organisation du King a invité White tous frais payés à assister aux répétitions. Les deux hommes se ressemblaient, tant par leur charme adipeux que par leurs boucles de ceinturon et pilosités faciales.

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Tony Joe White au temps de Polk Salad Annie.

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Elvis Presley à la même époque.

Le tube que fit Elvis de Polk Salad n’était pas la plus grande source de revenu du Swamp King : sa chanson Rainy Night in Georgia a eu plus de 140 versions, la plus notoire étant celle de Brook Benton sur Atlantic (mais Ray Charles s’y est collé aussi). Tina Turner (qui le croyait noir) a fait le torride Steamy Windows sur son album Foreign Affair. Lui-même s’est décliné sur une vingtaine d’albums, de plus en plus «indies» et dépouillés. L’homme était nature, ayant longtemps vécu dans un bled de Louisiane près d’un lac, préférant à toute chose pêcher et picoler. Comme J. J. Cale, son compère cabochard, il n’aimait pas trop parler de lui. Et comme le Okie troubadour, il avait acquis au fil des années une armée de fans plus ou moins célèbres, dont, outre JJ Cale, Mark Knopfler, Eric Clapton et Willie Nelson ; la plupart desquels joueront sur son album de 2006, Uncovered.

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JJ Cale dans son attitude caractéristique.
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Tony Joe White sur scène.

La dernière fois que le musicien est apparu sur scène, c’était il y a deux mois, à Los Angeles pour l’émission An Evening Wit. Son dernier album, Bad Mouthin, comprenant cinq chansons originales, en plus de certains de ses classiques, est sorti dans les bacs le mois dernier. Une chose est sûre, Tony Joe White n’avait rien perdu de sa superbe, toujours possédé par ses démons du blues.

L'homme du « swamp rock »

Tony Joe White est toujours resté fidèle au « swamp rock », sa marque de fabrique, un boogie blues lancinant, sombre et lumineux à la fois, avec des accents country-rock. Sur scène, ce musicien, le visage souvent enfoui sous un Stetson et caché derrière des lunettes de soleil, s'accompagnait uniquement d'un batteur.

Il possédait en France ses fidèles. Joe Dassin, timbre de voix similaire, publia même en 1979 Blue Country, un album d'adaptation en français de ses chansons.


Voici une longue interview de Tony Joe White, faite en 2008, parue dans "Blues again".

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Blues Again : Tout jeune vous avez baigné dans la musique. Votre père, votre frère jouaient de la guitare, vos sœurs du piano. Paradoxalement, des sept enfants de la famille vous étiez le moins intéressé par la musique…
Tony Joe White : Quand j’avais dix ou douze ans, mes frères et mes parents chantaient, jouaient du piano et de la guitare après dîner. Ma mère et quatre de mes sœurs avaient fondé un groupe de gospel et se produisaient le dimanche à l’église. Moi je préférais jouer au base-ball ou me baigner dans la rivière. Mon premier choc musical, je l’ai eu à 15 ans, quand mon grand-frère Charles m’a rapporté un disque de Lightnin’ Hopkins. Je n’avais entendu jusque là que du gospel et de la country-music. C’était la première fois que j’écoutais vraiment du blues. J’ai été tout de suite attiré par cette musique. J’ai commencé à barboter la guitare de mon père, j’en jouais dans ma chambre. Je fus également très impressionné par Jimmy Reed. J’ai acheté mon premier harmonica après l’avoir entendu.

Vous avez appris la musique à l’oreille, mais aussi en regardant jouer votre père…
Mon père était un grand fan de Chet Atkins, et un excellent joueur de picking. Il m’a filé quelques plans. Il aimait beaucoup Lightnin’ Hopkins, lui aussi.

Avec quels morceaux avez-vous débuté ?

Je jouais de la musique traditionnelle, des morceaux sur lesquels on dansait à l’école,des compositions pour deux guitares. Je reprenais aussi ‘Baby Please Don’t Go’ de Big Joe Williams, ou des titres de John Lee Hooker. Ensuite, j’ai repris des chansons d’Elvis entendues à la radio. Au tout début je jouais devant mes copains d’école, puis dans les fêtes du lycée. J’ai commencé à me produire dans les clubs. Je devais mentir sur mon âge car j’étais trop jeune pour entrer dans ce type d’endroit. Quelquefois j’étais accompagné d’un batteur ou d’un bassiste, mais le plus souvent j’étais seul avec ma guitare, mon harmonica, et je tapais la percussion sur une caisse de Coca en bois que je mettais sous mon pied. A cette époque je jouais surtout du blues basique et je reprenais les chansons des autres.

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En 1967 vous avez signé sur le label Monument, après une simple audition !

En 1967, j’étais marié à une enseignante. Je jouais dans les clubs six nuits par semaine, pour 3 dollars par nuit. J’avais économisé un peu d’argent, je voulais décoller de Géorgie. Ma vie était plutôt ennuyeuse, je tournais en rond, l’après-midi je glandais en ville, je bavardais avec les gens. J’avais écrit ‘Polk Salad Annie’ et quelques morceaux. Je suis parti à Nashville dans l’intention d’y trouver une maison de disques. Là-bas on m’a dit : Mon gars, tu as fait toute cette route pour rien. Ici on ne signe que les artistes country ! Le soir j’ai joué dans un night-club, le videur m’a dit qu’il connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui travaillait dans une maison de disques de Nashville. J’ai appelé le matin suivant. Le type s’appelait Bob Beckham, je l’ai rencontré, je lui ai joué ‘Baby Please Don’t Go’ puis l’intro de ‘Polk Salad Annie’… et j’ai signé immédiatement pour Monument Records. Aujourd'hui ça ne pourrait plus se passer comme ça, j’ai eu beaucoup de chance de débuter à cette époque.

Cette même année, un batteur dont le père avait un magasin de musique vous conseille d’acheter une pédale wah-wah Boomerang…
J’avais quitté la Louisiane pour Corpus Christi au Texas. Le père de mon batteur possédait un magasin d’instruments de musique et nous avions joué dans son club pendant un an. Un jour il m’a conseillé d’essayer une des premières pédales wah-wah. J’ai testé la Boomerang dans le magasin, et les gens se sont mis à danser. Dès lors je ne m’en suis plus séparé, je l’ai rebaptisée whomper-stomper. C’est devenu un peu ma marque de fabrique. Je l’utilise toujours en studio et sur scène, et j’utilise aussi toujours ma vieille Sub-Reverb, ma Stratocaster de 58, ainsi qu’une une fuzz-box Tone-Bender achetée à Londres en 1969. Elle sonne plus swamp que fuzz. Mon son vient en bonne partie de ce matériel préhistorique !

Après avoir entendu ‘Ode To Billy Joe’ de Bobbie Gentry, vous comprenez qu’il faut cesser d’imiter Elvis ou Lightnin’ Hopkins pour écrire vos propres chansons.
Oui. A ce moment là j’étais au Texas, je jouais dans des clubs et je faisais essentiellement des reprises. J’ai entendu cette chouette chanson, ‘Ode To Billy Joe’, une histoire qui semblait tirée de la réalité. Ça m’a bouleversé. Je m’identifiais vraiment à ce Billy Joe. A partir de ce moment j’ai décidé d’écrire mes propres textes, d’être vrai, sincère, de parler des choses que je connaissais.

En 1968 sort votre premier album avec deux morceaux très forts : ‘Polk Salad Annie’ et ‘Willie And Laura Mae Jones’. Les sonorités de ce disque surprennent encore aujourd’hui, les arrangements étaient très novateurs pour l’époque, cette batterie très en avant, la whomper-stomper, les violons, les cuivres…
C’était vraiment nouveau pour l’époque, et ça vient notamment des arrangements de Billy Swan, un ami, un compositeur qui n’avait pas du tout l’intention de devenir mon producteur ou quoi que ce soit. C’était juste un pote. Il est venu s’occuper des cuivres sur ‘Polk Salad Annie’. Personnellement je voulais plutôt la faire dans une formule batterie/guitare. Il m’a fallu du temps pour que je me fasse à l’idée de démarrer la chanson avec des cuivres, mais ça a finit par fonctionner. Au début je voulais virer les cuivres, ça aurait été une grossière erreur.
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Dés le début votre style était là.
C’est vrai, et depuis il n’a pas changé. J’ai toujours essayé de chanter et de jouer ce que je ressentais vraiment. Les chansons, les musiques peuvent changer, mon style est toujours le même depuis le début.

Votre deuxième album sort en 1969. Comme le premier, il présente des créations originales et cinq reprises.
Sur mes deux premiers disques, mes propres morceaux remplissent la première face, la seconde est constituée de reprises, des hits comme ‘Little Green Apples’ de Glenn Campbell ou ‘Hard To Handle’ d’Otis Redding. Au début on m’obligeait plus ou moins à reprendre les succès des autres. Encore aujourd’hui les maisons de disques ont tendance à interférer et moi, j’aime bien avoir mon mot à dire, c’est pour ça que je travaille avec mon fils Jodie. Avec lui je peux continuer à faire mes disques swamp.
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Votre histoire d’amour avec la France commence dés le premier album, Black And White. Ce disque marche moyennement aux États-Unis mais ‘Soul Francisco’ devient numéro 3 dans les hit-parades français.
Cette histoire d’amour avec la France a commencé alors que j’étais encore au Texas. Un jour mon manager me dit qu’une radio française voulait m’interviewer au téléphone. Un animateur de France Inter, Pierre Lattès, m’a appelé pour me dire que mon disque était numéro 3 en France et m’a demandé ce que j’en pensais. A Corpus Christi je jouais encore pour dix dollars la nuit dans les clubs, et j’avais du mal à comprendre que je puisse avoir beaucoup de succès à des milliers de kilomètres de chez moi. J’ai décidé de partir pour la France avec ma guitare, mon harmonica et ma caisse de Coca-Cola en bois. J’y suis resté plusieurs semaines, j’ai joué dans des clubs et des théâtres de 2 000 places. Les gens ne devaient pas comprendre les paroles, mais ils dansaient comme des fous et tapaient dans leurs mains. En fait, ils comprenaient que ma musique venait du cœur. Le courant passait vraiment. Ils me demandaient de jouer de la swamp-musique. OK, moi aussi j’aime ça. C’est en France que j’ai entendu ce terme pour la première fois.

Lors de cette première visite en 1969 vous gravez quelques titres seul à la guitare, dans les studios Barclay. Ces morceaux ont été exhumés il y a peu. Ils figurent dans le coffret du label Rhino consacré à votre période Monument. Vous y reprenez Bob Dylan, Joe Tex ou Don Covay. Vous souvenez-vous de cette session ?
Oui, je crois que c’était une session de radio. Effectivement je reprenais des choses comme ‘Skinny Legs & All’ de Joe Tex, ‘The Ballad Of Hollis Brown’ de Bob Dylan ou ‘Chain Of Fools’ de Don Covay. Cette nuit là, ma guitare et moi avons laissé les choses venir naturellement. C’était très relax.

C’est aussi à cette période que vous rencontrez et jouez avec votre idole, Lightnin’ Hopkins…
C’était en 1968. Lightnin’ Hopkins était à Los Angeles, j’y étais aussi. Lui enregistrait l’album California Mud Slide. Il voulait que je vienne jouer de l’harmonica et de la guitare. Quand je suis arrivé il était dans la salle de mixage, habillé comme un maquereau, avec une cravate et un costume aux couleurs voyantes, un peu comme Elvis à ses débuts. Il est sorti de la cabine, il est venu vers moi, il m’a regardé : Tu va jouer avec moi, boy. J’ai joué quelques licks à la guitare, il a dit : Très bien. Ensuite on a gravé quatorze chansons en 45 minutes ! L’enregistrement terminé, il s’est levé et m’a serré la main. Sa femme était là aussi. Elle tenait un sac en papier avec le nom de la compagnie de disques imprimé dessus. Elle a sorti dix billets de cent dollars et me les a donnés.

Aux États-Unis ‘Polk Salad Annie’ devient votre premier grand succès. Elvis la reprend et l’interprétera sur scène jusqu’à la fin. Sa version était très sexuelle.
J’aime beaucoup sa version. Le producteur Felton Jarvis était un de mes bons copains à Nashville. Après que le single ‘Polk’ a fait un hit, Felton m’a appelé. On était en 1973. Il nous a invités, ma femme et moi, à aller voir Elvis à l’Hotel Hilton de Las Vegas. Elvis était fou de cette chanson, ça se sentait quand il la chantait sur scène. Après le concert nous avons discuté dans les loges. Il m’a dit : Mec, cette chanson je la sens comme si je l’avais écrite moi-même. Je lui ai répondu : Tu sais, de la façon dont tu la joues, on a l’impression que c’est ta chanson. Nous sommes restés deux ou trois jours avec lui, nous l’avons suivi dans les studios Stax, nous avons joué de la guitare ensemble, il aimait mon jeu et voulait que je lui montre quelques accords de blues. Priscilla était là, il se comportait très naturellement, il était vraiment sympathique avec mon épouse et moi-même.

Sur Tony Joe, votre troisième disque, figure ‘High Sheriff Of Calhoun Parrish’,l’une de vos chansons que Bob Dylan préfère. Lors d’un concert, Dylan vous a d’ailleurs demandé de la chanter pour lui.
Je jouais dans un club à New York, le Bitter End. J’arrivais au bout de mon set. On est venu m’apporter un mot griffonné sur un bout de serviette : S’il vous plaît, jouez ‘High Sheriff’. Signé BD. Qui c’était ? Sur l’instant j’ai pensé que BD était une fille ! J’ai regardé dans la salle. Dans un coin, j’apercevais un peu d’animation autour d’un type avec une casquette sur la tête. A l’époque je ne connaissais pas vraiment Dylan. Il m’a lancé : Hey Tony, c’est moi qui ai écrit ‘High Sheriff’ sur la serviette, et qui t’ai demandé de la jouer. Je suis content que tu l’aies faite !
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En 1970 vous vous déchaînez à l’île de Wight avec Cozy Powell, le batteur de Jeff Beck !
Il y avait Sly and the Family Stone, Janis Joplin, Jimi Hendrix. Tous ceux qui avaient un hit étaient là. 600 000 personnes couchaient sous des tentes. J’étais sur le point de me produire seul, lorsque Cozy est venu me voir dans ma tente : J’adore ce que tu fais, j’aimerais jouer avec toi. On y va ? On a fait tout le set ensemble, nous avons joué plutôt fort et avec beaucoup d’énergie... C’était rock’n’roll !

En 1973 paraît l’album Home Made Ice Cream. Hormis des pièces funky-soul comme ‘Good News Bad News’, le disque fait la part plutôt belle aux chansons mélancoliques comme la sublime ballade ‘For All Times Sake’», comme ‘Calfornia On My Mind’ ou l’instrumental ‘Home Made Ice Cream Man’, très évocateur d’une certaine douceur de vivre sudiste…
Ah oui, au verso de la pochette je tiens un boxer dans mes bras. C’est Roddy ! Pour la pochette, nous avions pris des photos de la rivière située derrière ma maison. Quant à ‘Home Made Ice Cream Man’, c’était en souvenir d’un homme qui faisait des glaces à la main. C’est une tradition en Louisiane, au Texas et dans l’Arkansas. Fait à la maison, donc : home made. Aujourd'hui les gens font de la glace avec des appareils électriques, c’est nul. Quand on la fait à la main, elle craque sous la dent, on sent mieux les ingrédients.
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Cette même année vous composez la bande son de Catch My Soul, un film inspiré par l’Othello de Shakespeare, dirigé par Patrick McGoohan et produit par Jack Good.
On m’a appelé et demandé de venir au Nouveau Mexique pour faire la musique du film. Lorsque ce fut terminé, nous sommes allés bavarder dans un bar, Jack Good, Patrick McGoohan et moi. Ils aimaient réellement la musique, ils m’ont demandé de jouer dans le rôle de Cassio, je leur ai répondu que je n’étais pas acteur. Ils m’ont assuré que je n’aurais pas à jouer, juste parler comme je le faisais devant eux, en gardant mon accent. J’ai trouvé ça un peu bizarre… c’était quand même du Shakespeare ! Mais j’ai accepté.

En 1976 arrive ce que certains surnomment l’ère Barry Joe White. L’album Eyes amorce une période crooner, un rien macho, du genre Barry White, avec notamment des titres comme ‘Making Love Is Good For You’…
A cette époque j’écrivais beaucoup de chansons d’amour. A vrai dire quand j’écris, je ne sais pas ce qui va venir, des chansons romantiques, des chansons swampy, des airs plutôt sexy. A l’époque, dans les clubs, on entendait des trucs comme ‘Saturday Night Fever’. Nous avons utilisé ce type de rythme pour ‘Making Love’. Après avoir terminé la prise, un des gars du studio est entré dans la pièce, s’est mis à chantonner et a fait : Oh, mais c’est Barry Joe White ! Elles ont le beat de l’époque mais ce sont encore des chansons qui groovent.
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En 1979 vous participez étroitement au dernier, et sans doute meilleur album, de Joe Dassin. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ?
Je me produisais à Paris, il est venu me voir, il voulait venir en Californie jouer avec mon groupe et écrire quelques chansons. Nous avons enregistré à Los Angeles, le courant est passé, ça a bien fonctionné entre nous. Pendant cette session, nous avons écrit un bon morceau, ‘The Guitar Don’t Lie’, que j’ai repris par la suite.

Enfin, en 1991, vous sortez de votre retraite pour l’excellent Closer To The Truth.
Oui, c’est un de mes disques préférés avec Home Made Ice Cream. Il y avait beaucoup d’émotion à retrouver toute l’équipe de Muscle Shoals, David Hood, Roger Hawkins, Barry Beckett… avec qui j’avais travaillé sur de nombreux d’albums d’ailleurs.
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En 1993, sur On The Return To Muscle Shoals, vous assurez presque tous les instruments. Et il y a cet hommage à Tina Turner, ‘Tina’…
Roger Davis, le manager de Tina, a contacté mon manager. Tina avait entendu une démo de ‘Undercover Age For The Blues’, que j’avais enregistrée à Memphis. Une version très brute, enregistrée comme à la maison. Elle voulait l’enregistrer, moi jouant de la guitare avec exactement le même son. J’ai pris l’avion, j’ai rencontré Roger, nous avons discuté. J’ai rencontré Tina le lendemain matin, elle était dans sa loge et m’a dévisagé dans le miroir. Roger lui a dit : Tina, c’est Tony Joe. Il est arrivé. Elle a encore regardé dans le miroir et s’est mise à rire comme une hystérique. J’étais un peu gêné, je regardais le sol en pensant que j’avais peut-être oublié de fermer ma braguette, ce genre de chose. Elle est venue vers moi, m’a pris dans ses bras : Désolée, man, j’ai toujours cru que c’était un Noir qui chantait ‘Polk Salad Annie’. Nous avons éclaté de rire ensemble, et nous sommes devenus comme frère et sœur.
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Il y a aussi ‘I Want To Be With You’,avec ses guitares espagnoles. Un de vos rêves n’est-il pas de sortir un disque de chansons espagnoles, avec des duendes du genre de ‘Selena’ sur Uncovered ?
Actuellement j’ai réalisé les deux tiers de ce projet, et même davantage. J’ai vraiment l’intention de finir cet album à la fin de cette année. Je vais sonner comme un gringo qui joue espagnol. J’ai vraiment envie de faire des chansons comme ‘Selena’ ou ‘The Guitar Don’t Lie’. Moi en acoustique, et peut-être un bon percussionniste espagnol.
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En 1995 paraît Lake Placid Blues, avec ‘Paris Mood Tonight’. Les références à la France ne manquent pas dans vos disques, ‘Catwalling In Nice’ ou ‘Return To Muscle Shoals’. Qu’est-ce qui vous attire en France, hormis le fait d’y être apprécié ?
Le public français me suit depuis l’époque de ‘Soul Francisco’. Ici, une fois que les gens vous ont adopté, ils restent avec vous. Le public français est plus intellectuel. Curieusement, c’est peut-être aux États-Unis que mes chansons sont les moins comprises. Un exemple : ‘Soul Francisco’. Les Français ont saisi tout de suite que je parlais du Flower-Power.
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Et votre album, Deep Cuts …
Pour Deep Cuts, j’ai travaillé avec mon fils Jodie. Nous avons repris d’anciens morceaux comme ‘Soul Francisco’, il les a retravaillés en studio en accentuant les rythmiques. Jodie prend ce que j’enregistre, s’enferme dans son studio, inverse les pistes de guitares, change un peu les accords, ajoute un peu des basses... C’est vraiment bon, ça sonne comme du techno-swamp ! Un truc sur lequel on peut danser dans les clubs.
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Quel genre de musique écoutez vous aujourd’hui ?

Je continue d’écouter du blues avec, bien sûr, Lightnin’ Hopkins. J’aime la voix de Sade ou AC/DC. Et j’adorais aussi RL Burnside. Avec son fils, qui lui aussi était producteur, il faisait des choses hard-funky avec des boîtes à rythmes. Les kids adorent cette musique.

Discographie :
1968 - Black and White (Monument #18114)
1969 - Continued (Monument #18133)
1970 - Tony Joe (Monument #18142)
1971 - Tony Joe White (Warner Brothers #1900)
1972 - The Train I'm On (Warner Brothers #2580)
1973 - Homemade Ice Cream (Warner Brothers #92274)
1973 - Catch My Soul - movie soundtrack (Metromedia, RCA en Europe)
1975 - The Best of Tony Joe White (Warner Brothers)
1976 - Eyes (20th Century)
1980 - The Real Thang (Casablanca)
1983 - Dangerous (Columbia)
1991 - Closer To the Truth (Remark/Polydor #LC 0309 / 511 386-2)
1993 - The Path of a Decent Groove (Remark/Polydor #LC 6298 / 519 938-2)
1993 - The Best of Tony Joe White Featuring Polk Salad Annie (Warner Brothers)
1995 - Lake Placid Blues (Remark/Polydor #LC 6298 / 527 530-2)
1997 - Collection (RDM #D31737 - Australian) A collection from his '91 -'95 releases.
1998 - Tony Joe White Live in Europe 1971 (WeeBuy #885972) - réédition de concerts antérieurs, dont peut-être des enregistrements pirates.
1999 - One Hot July (Mercury - no #)
2000 - Tony Joe White In Concert (Brilliant BT 33053) - réédition de concerts antérieurs, dont peut-être des enregistrements pirates.
2001 - The Beginnings (Swamp Records, no #)
2002 - Live in Europe 1971 (Delta Music GmbH MCPS 23 114)
2003 - Snakey (Munich Records, no # & Dock Records)
2003 - Dangerous Eyes (Reissue of '76's Eyes & '83's Dangerous) (Raven RVCD-159 - Australian)
2004 - The Heroines (Sanctuary Records, #06076-88366-2)
2006 - Live from Austin, Texas (New West #NW6092)
2006 - Uncovered (Swamp Records, No #)
2006 - Swamp Music: The Complete Monument Recordings (Rhino Handmade #RHM2 7731)
2007 - Tony Joe White & Friends (MAPS FG390)
2008 - Deep Cuts (Swamp Records, No #)
2008 - Live at the Basement (ZYX Music GmbH PEC 2039-2)
2010 - Live In Amsterdam CD + DVD (Munich Records)
2010 - The Shine (Swamp Records)
2012 - Collected 3 CD (Swamp Records)
2013 - Hoodoo (Yep Roc Records)
2016 - Rain Crow (Yep Roc Records)
2018 - Bad Mouthin' (Yep Roc Records)

Quelques titres emblématiques :
Closer To The Truth
Good in Blues
Tunica Motel (Version CD)
Tunica Motel (acoustic)
Ain't Going Down This Time
The Guitar Don't Lie
The Other Side
You're Gonna Look Good in Blues
Hoochie Woman
Bayou Woman
Cold Fingers
The Gift
Back Porch Therapy
Across From Midnight
Mississipi River (acoustic)
Rainy Night in Georgia (live)
I get Off on It (live 1980)
Polk Salad Annie (live)
Even Trolls Love Rock'n Roll (live)
Rebellion (live)
Gumbo John
Down Again
Did Somebody Make a Fool Out (avec Eric Clapton)

Son dernier album :
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Bad Mouthin'

Une cririque de Bad Mouthin', parue sur le site Forces parallèles, signée Bayou :
"Même pour les artistes relativement âgés (77ans), le décès surprend toujours. Tony Joe WHITE, on le connaît depuis la nuit des temps : il était à Woodstock en 1969, ce qui classe tout de suite le bonhomme dans une certaine élite. Pourtant, il n’a rien du guitar-hero, lui né en Louisiane à Oak Grove en 1943, le genre de bled où les noirs et les familles de blancs pauvres se mélangent sans difficultés. Il l’évoque d’ailleurs superbement dans une de ses plus belles chansons " Willie and Laura Mae Jones" : "Willie and Laura Mae Jones were our neighbors a long time back / They lived right down the road from us in a shack, just like our shack / The people worked the land together, and we learned to count on each other / When you live off the land you don't have the time to think about another man's coulour ” : " Willie et Laura Mae Jones étaient nos voisins depuis longtemps / Ils vivaient tout près de chez nous dans une cabane, tout comme notre cabane / Les gens ont travaillé la terre ensemble, et nous avons appris à compter les uns sur les autres / Quand tu vis de la terre, tu n'as pas le temps de penser à la couleur d'un autre homme ".

Aussi, ce n’est pas vraiment surprenant qu’il se passionne très vite pour le blues de LIGHTNIN’ HOPKINS. Tony devient rapidement un songwriter réputé et reconnu avec bien sûr son fameux "Polk Sald Annie" repris par ELVIS himself, ou "Steamy Windows" par la grande Tina TURNER, dans l’album Foreign Affairs en 1989, sans parler de notre défunt Johnny et surtout de Joe DASSIN qui dans son album Blue Country reprend "Home Made Ice Cream", "My KInd Of Woman", "Polk Salad Annie", "The Change", "Lustful Earl & the Married Woman", et "I’ve Got a Thing about you Baby") ce qui revient à dire que le public français a écouté du Tony Joe WHITE sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose.

Pourtant, le vrai talent de Tony est dans ses interprétations, dans sa manière de mettre en scène sa musique, le plus souvent sous une forme minimaliste (on pense inévitablement à J.J. CALE dans sa façon de vivre et de composer). Il avait aménagé un studio dans sa maison de Church Street à Franklin dans le Tennessee où il bricolait tranquillement ses albums. Qui sont facilement reconnaissables avec son style poisseux, ce fameux swamp-rock qu’il a fortement contribué à populariser. On évoquera également ses prestations, souvent en solo, avec son harmonica, sa guitare et ses pédales d’effets, parfois avec le renfort d’un percussionniste.
C’est donc un monument de la musique qui s’est éteint, et d’une manière quasi prémonitoire il a bouclé la boucle en enregistrant de nouveau "Bad Mouth" pour son dernier album, ce titre ayant été gravé en 1966 à Corpus Christi (Texas).

Cet album qui plonge dans les racines musicales de notre homme avec "Baby Please Don't Go" de Big Joe WILLIAMS, "Big Boss Man" de Jimmy REED, "Bad Dreams Awful Dreams" de LIGHTNIN’ HOPKINS et sa version du "Heartbreak Hotel" de PRESLEY, qui juste retour des choses, termine l’album. Il s’inscrit dans la continuité de sa discographie, avec toujours des références au blues, cette pincée personnelle qui rend ses productions identifiables dès la première écoute.

Tony Joe WHITE était un artisan doué, un bricoleur de génie, qui avec un minimum de matériel, comme les anciens bluesmen, proposait une musique authentique qui prenait aux tripes."

Bad Mouthin'
Cool Town Woman
Boom Boom

Et enfin, ce simple tribut :
A Simple Tribute

Une vidéo amateur filmée lors d'un concert à Lessines, en Belgique le 1er mai 2018. La prise n'est pas parfaite mais c'est tout de même un document très récent, ce qui lui confère un certain intérêt.
Modifié en dernier par Arthur Gordon Pym le 02 Nov 2018, 11:36, modifié 10 fois.
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Re: Hommage à Tony Joe White.

Messagepar Monfreid... » 29 Oct 2018, 10:30

merci pour cet hommage (présentation aussi pour ceux qui ne connaîtraient pas l'artiste).

à force de dire que l'art c'est le renouvellement et le changement perpétuel, on n'oublie parfois que c'est aussi une question de démarche, de sillon et de nuances (de défaillance aussi... parce que tous les albums ne sont pas géniaux, tout n'est pas exemplaire chez lui mais c'est sans doute ce qui le rend aussi proche de ses admirateurs et éloigné d'un designer de chez apple).
je les ai tous empaillés, jusqu'à la dernière peluche !
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Re: Hommage à Tony Joe White.

Messagepar Arthur Gordon Pym » 29 Oct 2018, 15:26

Monfreid... a écrit:merci pour cet hommage (présentation aussi pour ceux qui ne connaîtraient pas l'artiste).

à force de dire que l'art c'est le renouvellement et le changement perpétuel, on n'oublie parfois que c'est aussi une question de démarche, de sillon et de nuances (de défaillance aussi... parce que tous les albums ne sont pas géniaux, tout n'est pas exemplaire chez lui mais c'est sans doute ce qui le rend aussi proche de ses admirateurs et éloigné d'un designer de chez apple).

Tu as parfaitement raison. Voici ce qu'il disait lors d'une interview, que j'ai intégrée à la fin de mon hommage ci-dessus, faite en 2008.
Q :" Dés le début votre style était là."
R : "C’est vrai, et depuis il n’a pas changé. J’ai toujours essayé de chanter et de jouer ce que je ressentais vraiment. Les chansons, les musiques peuvent changer, mon style est toujours le même depuis le début."
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Arthur Gordon Pym
 
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