par roland65 » 14 Sep 2017, 07:45
Au fait, un texte intéressant (attention, c'est dense) publié sur Amazon comme avis sur le coffret Mansetlandia par un nommé "microa" :
"Ce qui me reste après moi
L'œuvre chantée de Manset est celle d'un handicapé des mots. Différemment de ce qu'il fait dans le style ampoulé et parfois ridicule de son œuvre littéraire qui est par ailleurs intéressante, il se limite dans ce cadre à la technique du photographe inspiré qui méprise les règles qui mènent au « chef d'œuvre » au sens premier du mot. Il cadre mal, il floute, il déforme au kaléidoscope. Bizarrement, le public s'y est fait. Il a trouvé son filon et depuis il l'exploite jusqu'au bout. C'est unique et la source de l'inspiration ne s'est jamais tarie sauf peut-être à l'époque Manitoba avec « Quand une femme » ou « Dans mon berceau j'entends » puis elle a jailli à nouveau avec « Que t'ont-ils fait ?» et « L'amour en Océanie ». Manset ne dit donc pas n'importe quoi sous l'effet d'une écriture automatique. Ses chansons sont hyperréalistes. Elles sont une mine de réalité accessible dès lors que l'on adopte une posture de prise de distance avec le personnage mégalomane et misanthrope voire odieux que nous connaissons car il nous a donné des pistes dans ses rares interviews et dans les encore plus rares livrets des albums sans parler de ses livres. Ainsi on apprenait dans « Alternatives à Obok » ses attirances pour les vases bleues de la baie du Mont St Michel, paysage désolé entre la basse Normandie et les portes de Bretagne. On imagine les pas trainants, les sables mouvants, les sables, le vent, les vases bleues. On comprendra plus tard que son inspiration érotique dans Aphrodite avec ses mille vierges alanguies sur le banc de coquillages n'est probablement que la conséquence de sa progression trop lente avec des jeunes qui marchent plus vite que lui dans cette pêche à pied : « Alors je marche. Et je ramasse un peu' ! ». Les mirages existent aussi en ce lieu mais chacun les interprète selon ses fantasmes. Au-delà à l'ouest, il y a la gare de Dinan, cathédrale rieuse dans l'urine des chiens' C'est un édifice gigantesque surdimensionné pour une voie ferrée unique et enherbée, quasi abandonnée où parfois s'ébranlent les trains dans le bruit des essieux. L'homme au gilet jaune qui vient nettoyer la voirie est effectivement l'unique force agissante dans ce lieu jadis magnifique avec sa superbe coupole dorénavant habité par des punks à chiens. Ainsi dans « Le coureur arrêté », il ne photographie pas, il filme. Il filmait déjà dans « Les enfants des tours » avec ou sans superposition de deux mondes : celui de St Cloud et de ses meubles toujours blonds et celui d'une rue défoncée d'Asie où il a évité un carton d'emballage avec sa voiture sans conviction de l'intérêt de donner un coup de volant pour ensuite s'affoler d'apercevoir par la lunette arrière qu'un jeune enfant en sortait. Et que dire de la chanson sur Henri de Monfreid ? Il s'amuse. Il nous manipule. Il pousse le ridicule d'un style jusqu'à en devenir la victime et c'est plutôt sympa : « Moi-même un jour j'ai voulu tout vérifier, j'ai tout vu, j'ai tout lu, parcouru l'étendue' ». Il a réutilisé cette sortie de scène dans « Pacte avec mon sang » où il se ridiculise pour notre plus grand bonheur avec la formule « Priez pour notre salut ! ». Il n'y a donc rien de sérieux dans tout cela. Ce n'est qu'une recherche d'inspiration dans la perception photographique maladroite d'une réalité chez un auteur je le répète handicapé des mots mais pour qui les mots passent avant la voix et bien avant la musique. Cette voix est née précisément dans les derniers mots de « La toile du Maître » : « des mains de toutes les couleueueueueurs... ». Elle était blanche dans « Golgotha » mais là elle a vécu subitement ce vieillissement du à cet inimitable vibrato ecclésiastique qui est devenu sa marque de fabrique à partir d'Orion : « Au milieu des cerisiers blancs sur son cheval, le prêtre a des ciseaux d'argent' ». Ceci légitime à mon sens le fait que cette intégrale de 185 chansons commence à « La mort d'Orion » et pas avant car avant ce n'est pas encore Manset. Elle contient des titres remasterisés et retravaillés au grand dam des puristes qui aimeraient tant que leur idole fut celui qui sacralise l'objet de leur nostalgie. Hélas pour elles et pour eux, jamais le magicien de Milan n'est allé dans ce sens et il leur faut bien l'accepter. Au sujet de cette intégrale, on peut tout dire. On peut déplorer des titres sulfureux qui pourraient nous suggérer la tolérance [...] avec « L'enfant qui vole » ou « Bergère » où il poursuit une jeune fille dans la nuit [...], envers le terrorisme dans « Artificiers du décadent » quand il nous dit que tout n'est pas noir et que tout n'est pas blanc et que nous devons prendre garde à la vengeance, envers le radicalisme religieux du camion sanctifié aux chrétiens écartelés jusqu'à la cabane où on pleure et prie en Amazonie , envers le tourisme sexuel dans « Marin' bar » avec la fille qui a des copains dans tous les hôtels du coin ou bien tout simplement la Thaïlande en tant que pays avec cette formule odieuse « Celui qui voit le monde par tes yeux, celui-là peut-être, il peut être heureux », ou avec l'abandon de toute réflexion politique quand il nous dit dans « Mensonge aux foules » que tout est dans tout que tous sont pourris, voire pire encore quand il sème le doute dans « Pavillon sous la neige » au sujet de l'attitude que nous devrions avoir à l'endroit des dictatures : « Dirigeant d'une époque, peut-être maladroit. Maintenant l'exil et le froid' Mais j'allais voir le vieil homme.» ou bien encore « Jusqu'aux rivages de Cebu » dont on sait ce qui s'y est passé. L'œuvre chantée de Manset sent en effet parfois le gaz mais de manière non assumée par son auteur qui en vieillissant montre son inculture, son indécrottable éducation aristocrato conservatrice mais surtout et avant tout son incapacité à raisonner, à penser ou à proposer quelque chose pour que le monde qu'il décrit devienne meilleur. Il a voyagé mais il n'en sait pas plus que s'il était resté dans le septième arrondissement de Paris. Manset est un artiste qui n'assume rien : il est celui qui appuie sur l'objectif sans approuver ni dénoncer la situation qui devient le sujet de sa photo ou de sa chanson. En toute honnêteté intellectuelle de celui qui ne comprend rien à rien, il brouille les pistes pourrait-on dire dans notre intérêt. Je respecte cela. Dans ces considérations, difficile de ne pas accepter le délire de l'artiste quand il devient inquiétant. Il faut passer ce cap pour vivre cette œuvre autrement que comme un ado dans sa chambre dans la fin des années 70. C'est tout à fait possible à la condition de tout décortiquer comme s'il s'agissait de « Finnegan's Wake », l'œuvre ultime de James Joyce écrite non pas phrase par phrase ni même mot par mot mais bien lettre par lettre. C'est de cette idée qu'il a voulu se rapprocher en créant cette magnifique chanson qui met bout à bout sans aucune signification les titres des plus beaux tableaux de Gauguin. C'est totalement immature mais c'est d'une efficacité inégalée. La chanson sur la mort est fabriquée ainsi : « Quand on perd un ami » met bout à bout, sans aucune précaution, chacune des émotions que l'on ressent quand on vit cette épreuve. Personne d'autre que lui n'a fait cela et c'est la raison pour laquelle il faut tout réécouter sans état d'âme, sans jugement sur l'homme et sans la moindre intention de lui dicter ce qu'il aurait dû faire ou dire. C'est une œuvre immense d'une richesse infinie mal écrite par un type odieux qui chante mal et dont la musique est parfois entre le médiocre et le sirupeux écœurant. Pourtant, cette œuvre est immense car elle est d'une efficacité incomparable. En effet, regardez les images des enfants d'Alep aujourd'hui et écoutez cette musique, cette voix et ces mots : « L'iris délétère, ils sont venus sur terre, sans rien demander, comme une pluie d'hiver sur une ville inondée ». Tout cela nous parle d'une manière certes grandiloquente et sur un ton sentencieux mais cela nous marque par des symboles qui nous rattachent à nos origines, à notre enfance, à nos racines judéo-chrétiennes qu'il défend bec et ongle contre l'idée de laïcité et de promotion de la diversité tout en se cachant derrière son petit doigt de bouddhiste. Cela fait des décennies qu'il fustige la société occidentale où plus rien ne se crée de valable artistiquement et où l'ascenseur social ne serait qu'une imposture. Les bras nous en tombent quand il dit cela mais il faut l'accepter car il ne nous demande rien et surtout pas de venir crier devant lui sur une scène. Il veut juste nous parler, nous montrer, nous laisser délibérer. Ce n'est pas à notre intellect de réagir face à une telle œuvre. C'est à nos racines de s'exprimer afin que nous comprenions ce qu'il a voulu nous dire ou peut-être seulement nous montrer. Tout est là, dans la boite. Presque tout à l'exception de quelques immaturités d'écriture et de quelques projets de facturation de nouvelles remasterisations pour afficionados acharnés. Pas d'échanges avec le public qui petit à petit s'est fait à l'idée de ne jamais le rencontrer puisque tel était son projet. De ce point de vue, il a réussi. On peut aimer le voyage au bout de la nuit sans aimer Céline. On peut aimer Obok ou la vallée de la paix sans aimer Manset. C'est réciproque et c'est dit définitivement depuis des années : « Tout l'amour se donne mais ce qui te fait fuir c'est le monde et les hommes. ». Manset est un artiste comme l'était peut-être Gauguin, pas un chanteur qui va venir montrer ses bonnes mœurs et son savoir vivre ensemble au concert des enfoirés. Il y a peu de photos de lui dans le livret et c'est tant mieux. Seule l'œuvre compte, celle de 48 ans de carrière. Et que fait-on devant une telle œuvre ? On lui donne une note comme à « The Voice » ou bien encore le plus simple n'est-il pas comme il le chantait jadis ou naguère de ne rien lui donner mais de lui pardonner ?"
Vulnerant omnes, ultima necat