oui, je suis d'accord. Ce que je voulais signifier, c'est que la différence entre une oeuvre d'art et d'autres productions de l'esprit humain, c'est justement cet "échappement" à la pensée rationnelle, qui se produit au cours du processus de la création. A mon goût, si une oeuvre d'art reste trop soumise au projet rationnel de l'auteur, elle ne construit pas cet irremplaçable espace de recherche, de liberté, de jeu, dans lequel elle invite aussi le lecteur-regardeur-auditeur.
Ce qui est assez frappant aussi, c'est que la valeur d'une oeuvre d'art (et la question de la
valeur expressive, esthétique, etc de l'oeuvre.... est au centre de l'effort de l'artiste, fût-il un enfant de 6 ans qui tire la langue sur son dessin) n'est pas directement liée à la valeur morale, ou intellectuelle ou à la profondeur des buts conscients de l'artiste. Des oeuvres magnifiques ont été produites pour draguer une fillette, gagner les faveurs d'un puissant protecteur ou surtout devenir riche et célèbre
Que la pensée rationnelle qui en est le point de départ puisse ajouter à ses qualités par son élévation morale ou son intelligence, c'est certain, mais il faut quand même qu'elle prenne un peu le maquis par rapport à elle, qu'elle n'en soit pas entravée.
Voilà que j'en reviens, en la modulant, à cette phrase "on ne fait pas de la bonne littérature avec de bons sentiments". On pourrait dire : "de bons sentiments n'empêchent pas de faire de la bonne littérature, s'ils laissent circuler à côté d'eux autre chose de tout à fait libre, amoral, inconnu. Sinon ils l'asphyxient sous leurs gros sabots". Les artistes qui se sont trop inféodés à des théories ou à des groupes d'appartenance ont perdu cela.
Pour faire en core un pas de côté, cet échange sur un forum de poésie : l'un des auteurs écrit et poste beaucoup. Un autre lui dit "tu écris trop" et il répond "non, j'écris comme ça vient en ce moment" et un troisième dit alors : "oui, tu as raison, suis ton rythme. Après tu reprendras tout ça, tu les retravailleras. C'est comme une une "sculpture de soi".
J'ai trouvé ça très juste. On retravaille pour traquer les tricheries et les paresses, les emprunts malhonnêtes et les facilités, les coquetteries, les prétentions, les inhibitions, l'autocensure. C'est vraiment un travail "moral" sur soi par la forme, par une soumission à la forme de l'oeuvre. C'est surtout là qu'elle est, la morale d'un artiste.
J'ai le sentiment que Manset dans certains de ses derniers écrits "littéraires" se laisse aller à ses sentiments parfaitement névrotiques face aux grandes oeuvres littéraires qu'il a découvertes si tard, et se conduit comme un débutant qui singe ses maîtres, gêné aux entournures par ces habits dans lesquels il se sent un parvenu, en faisant des tonnes, du coup, tout ça pour tenter sans arriver à y croire d'être un "écrivain". Et comme il ne doit pas beaucoup aimer qu'on lui fasse des critiques même constructives, ça risque de durer pas mal.
Alors que pour moi il est vraiment un écrivain génial, mais par ses textes de chansons et tout ce qui s'y apprente dans ses textes en prose. Je n'ai jamais vu personne qui était autant fait pour la poésie et si peu pour la prose (ces deux soeurs siamoises).